samedi 22 octobre 2022

Rimbaud et « La revue pour tous »

 


Le 8 août 1892, Isabelle Rimbaud terminait une lettre à Louis Pierquin par cette phrase :


« À propos de vers, voici un petit détail qui vous intéressera peut-être : les premiers qu’il a composés ont été publiés fin 1869 ou commencement 1870 dans un journal hebdomadaire qui s’appelait La revue pour tous. Ces vers étaient intitulés Les Étrennes des Orphelins »


Elle donnait deux informations capitales : l’existence d’une poésie de Rimbaud inconnue à l’époque et par inférence le fait que Madame Rimbaud était abonnée à cette revue bien pensante.


Louis Pierquin était pressenti par l'éditeur Vanier pour écrire une préface aux œuvres de Rimbaud. Il informa immédiatement l'éditeur de l’existence du poème. Vanier le recopia à la Bibliothèque Nationale. Les Étrennes des Orphelins furent publié dans l’édition de 1895 des œuvres complètes de Rimbaud avec une préface de Verlaine.


Après avoir informé Pierquin, Isabelle affirma que son frère n’avait pas voulu être imprimé et que c’étaient ses camarades de classe qui avaient envoyé  le poème à la revue. C’était inexact car le 26 décembre 1869 on trouvait dans la correspondance avec les lecteurs cet entrefilet :


«  M.Rim. à Charleville.- La pièce de vers que vous nous adressez n’est pas sans mérite et nous nous déciderions sans doute à l’imprimer si, par d’habiles coupures, elle était réduite d’un tiers »

  

On ne connait aucun manuscrit du poème et nous ne savons pas quelles coupures Rimbaud a réalisées.


En général les commentateurs ne sont pas enthousiastes pour ce poème comme Jean-Jacques Lefrère qui parle d’une « pièce médiocre et pleurnicharde ». Même Verlaine était réticent à le mettre au début des oeuvres complètes de Rimbaud. 

 

Voici comment il présentait le poème dans la préface de 1895 :


« On a cru devoir, évidemment dans un but de réhabilitation qui n'a rien avoir ni avec la vie très honorable ni avec l'œuvre très intéressante, faire s'ouvrir le volume par une pièce intitulée Étrennes des Orphelins, laquelle assez longue pièce, dans le goût un peu Guiraud avec déjà des beautés tout autres. Ceci qui vaut du Débordes-Valmore :


             Les tout petits enfants ont le cœur si sensible !


Cela :

            La bise sous le seuil a fini par se taire,

Qui est d’un net et d’un vrai, quant à ce qui concerne un beau jour de premier janvier !  Surtout une facture solide, même un peu trop, qui dit l’extrême jeunesse de l'auteur quand il s'en servit d'après la formule parnassienne exagérée »


La plupart des commentateurs soulignent que Rimbaud a emprunté des vers surtout à François Coppé.


La revue publiait des poèmes d’auteur connus comme Victor Hugo et même, à la demande de plusieurs correspondants, Baudelaire dont l’œuvre était qualifiée  d’étrange et sinistre ! Ainsi le 15 janvier on pouvait lire le poème Spleen de Baudelaire.




On peut voir aussi à cette date du 15 janvier qu’il était question de la première à l’Odéon de la pièce de François Coppée Le passant. On se souvient que Rimbaud s’était présenté à Verlaine comme « moins génant qu’un Zanneto ». En poursuivant la lecture de la revue on trouve aussi une recension de « l’Homme qui rit » de Victor Hugo avec des extraits évoquant les Comprachicos que Rimbaud a nommés dans sa grande lettre du Voyant.


Il est possible qu’en épluchant la revue on puisse trouver des passages qui ont pu retenir Rimbaud.


Le directeur de la revue qui avait répondu à un courrier de Rimbaud était un certain Thomas Grimm. Il s’entourait de bons collaborateurs comme Jules Andrieu que Rimbaud connaîtra plus tard. Andrieu écrivait régulièrement dans la revue une chronique qui s’intitulait à travers les livres où il parlait de littérature espagnole, anglaise notamment avec une érudition impressionnante.


Thomas Grimm était écrivain et avait publié de nombreux ouvrages. Il ne souhaitait pas imprimer n’importe quel poème et était particulièrement féroce dans sa correspondance pour ceux qui lui fournissaient de mauvais vers. Son idéal était les poètes parnassiens. 


Nous verrons qu’il donnera à Rimbaud une source crédible aux Etrennes des Orphelins.


À suivre…

jeudi 13 octobre 2022

Rimbaud est-il l’auteur de l’article « les Androgynes »?

 Il existait trois publications locales à charleville qu’il ne faut pas confondre. Le courrier des Ardennes dirigé par Pouillard, journal réactionnaire que Rimbaud n’aimait pas. Le progrès des Ardennes dans lequel on sait qu’il a publié Le rêve de Bismarck et Le Nord-Est journal qui verra sa première publication le 1er juillet 1871 et dont nous avons parlé dans notre précédent article à propos de Léon Deverrière qui en était le gérant et Perrin le directeur.

Nous faisons ici état d’un document qui n’a jamais été publié concernant une condamnation de Deverrière pour délit de diffamation à l’encontre de Auguste Pouillard directeur du Courrier des Ardennes. Deverrière avait fait appel d’une décision du tribunal de police correctionnel de Charleville mais l’appel fut rejeté et Deverrière fut condamné à payer 500 francs d’amende et 1500 francs en dommages et intérêt.


DR. BN.

L’intérêt de ce document est qu’il donne des extraits de publications du Nord-Est

Pour prouver qu’il y a eu diffamation.


La question principale qui nous intéresse à présent est de savoir si Rimbaud a pu publier un article dans Le Nord-Est. On se base sur le témoignage de Delahaye qui expliquait que Rimbaud avait d’excellentes relations avec Deverriere à qui il avait soumis des articles, mais Perrin n’en avait pas voulu. Cependant on sait que Delahaye s’est déjà trompé en affirmant que Le rêve de Bismarck n’avait jamais été publié dans Le progrès des Ardennes. L’excellent chercheur Jules Mouquet avait consulté des exemplaires de ce journal à la Bibliothèque Nationale notamment celui du 16 septembre 1871 où il crut trouver un article de Rimbaud intitulé La lettre du Baron de Petdechèvre signé Jean Marcel, et portant entre parenthèses la mention Le Progrès, qui indiquait la provenance du texte reproduit. Cependant, ce n’était pas le Progrès des Ardennes mais Le progrès de Lyon ainsi que l’a montré Marc Ascionne en 1891. Depuis cette erreur de Jules Mouquet il ne semble pas qu’on se soit avisé de rechercher des articles de Rimbaud dans Le Nord-Est.


Il n’y a que deux endroits où l’on peut consulter Le Nord-Est. À la Bibliothèque  Nationale et à la Médiathèque de Charleville.

Le document que nous dévoilons permet de consulter des extraits d’articles du journal. Ainsi le 29 septembre 1871, on trouve l’extrait suivant d’un article dont le titre est les Androgynes


DR. BN.

« La lumière sereine qui commence à nous éclairer offusque l’oeil de ces nocturnes, qui ne se dilate guère que dans les nuits de coups d’État ou dans le crépuscule impérial, si favorable aux bénéfices scrofuleux »


Le mot scrofuleux désignait le prince impérial appelé par dérision Scrofuleux IV faisant allusion à Napoléon IV. Voir la caricature de l'époque ci-dessous :


On peut lire sur le bonnet du prince impérial :
scrofuleux IV. DR.

Notre hypothèse est que Rimbaud pourrait être l’auteur de l’article les Androgynes. Dans la lettre prétendument du 12 juillet à Izambard, Rimbaud écrit « de portenteux bénéfices » qui ressemble à « bénéfices scrofuleux ».


Malheureusement le journal du 29 septembre 1871 n’est pas consultable à la Bibliothèque Nationale ni à la Médiathèque Voyelles.


Dans l’état actuel des choses, on ne peut aller plus loin que de faire état de notre hypothèse. 



dimanche 2 octobre 2022

Où habitait Léon Deverrière ?

DR. Gallica.

Suite à une importante discussion concernant l’article sur le dessin d’Isabelle Rimbaud, Franck Delaunoy a été amené à donner des informations sur Léon Deverrière, notamment qu’il se prénommait Léandre. Ceci m’a incité à faire quelques recherches personnelles.


Le document que l’on voit en tête du blog est une annonce faite dans le courrier de Moselle du 8 juin 1871. On peut lire que l’adresse de Deverrière gérant du Nord-Est est 14 rue Forest. Cela pose un problème, car le 10 juin 1871 Rimbaud écrit à Demeny : écrivez à M. Deverriere 95 sous les allées pour Arthur Rimbaud.



Il convient de rappeler brièvement qui était Deverrière. Il était professeur de rhétorique à l’institution Rossat où Rimbaud avait étudié. Il était arrivé en 1870 donc après qu’Arthur eut quitté cet établissement. Il était très ami avec Georges Izambard qui l’avait invité à Douai pendant la première et la seconde fugue de Rimbaud. Il habitait dans un appartement du 95 cours d’Orléans qu’il avait loué au photographe Vassogne, dont l’atelier était dans la même maison. Rimbaud avait rapidement sympathisé avec cet homme qui était un républicain. Deverrière et un autre professeur Perrin eurent l’intention de créer un journal le Nord-Est. Deverrière avait démissionné et Perrin avait été renvoyé pour sa sympathie communarde, ils étaient libres. Deverrière était gérant et Perrin directeur. Rimbaud ne put jamais y écrire malgré son désir d’être publié à cause de Perrin qui s’y opposait. Le numéro 1 du journal paru le premier juillet 1871. On comprend que des ouvriers étaient nécessaires avant la publication.


Cependant pendant quelque temps, Deverrière avait été une boîte aux lettres pour Rimbaud qui ne voulait  pas faire connaître à sa mère son courrier.


Il n’y a pas de raison de mettre en doute l’adresse donnée par le courrier de Moselle qui reproduit cinq fois la même annonce les 8, 10, 13, 15 et 17 juin.


Je crois qu’il est possible d’avoir une explication de ce problème. Examinons attentivement les boîtes aux lettres que donne Rimbaud dans ses lettres. Le 10 juin, nous l’avons dit, il donne l’adresse de Deverrière au 95 sous les allées.  De même le 12 juillet dans une lettre à Izambard. Le 20 juin à Jean Aicard Il donne pour la première fois son adresse personnelle au 5 quai de la Madeleine. Le 15 août il demande à Théodore de Banville de lui répondre chez Bretagne, Avenue de Mézières.


Mon hypothèse est que Deverrière a changé d’adresse au mois de juin. Pour la lettre de Rimbaud du 10 juin, on peut penser que Rimbaud n’avait pas été prévenu du changement d’adresse. C’est pourquoi il donne son adresse personnelle le 20 juin. Mais direz-vous et le 12 juillet ?


Il se trouve que j’avais contesté cette date du 12 juillet inscrite sur une invraisemblable lettre à Izambard. Je renvoie à mon article. Ceci confirme mon hypothèse. Si la lettre à Izambard est écrite avant juin 1871, alors Rimbaud donne naturellement l’adresse de Deverrière au 95 sous les Allées. Pour le dire autrement, le 12 juillet Rimbaud savait certainement que Deverrière était rue Forest et ne pouvait donc pas donner l'adresse du 95 sous les allées. La lettre du 12 juillet a une date impossible. Cela confirme bien que la lettre du 12 juillet a été falsifiée par Izambard.


Rimbaud s’était peut-être fâché avec Deverrière à partir de la publication du journal, estimant qu’il aurait pu insister davantage auprès de Perrin. Le « merde à Perrin » dans une lettre ultérieure de Rimbaud montre sa rancune à l’égard du directeur du Nord-Est.