lundi 5 novembre 2012

Compte rendu de la table ronde du 26 octobre à la Sorbonne, par Jacques Bienvenu




    Ce compte rendu est réalisé sur la base de notes que j’ai prises pendant les interventions des invités de la table ronde. Elles sont bien  évidemment incomplètes et ne sont qu’un simple reflet de ce qui a été dit.

    La séance est présidée par André Guyaux. Elle se déroule dans le cadre des séminaires dix-neuvièmistes organisés conjointement par l’Université Paris Sorbonne (Paris IV) et Paris Sorbonne nouvelle (Paris III). La salle est pleine et comporte notamment de nombreux étudiants et doctorants.  Les amis de Rimbaud sont représentés par Louis-Claude Paulic et  Jean-François Laurent. Des enseignants sont aussi dans la salle, ce qui donne un public très intéressé et diversifié. Dans son introduction, l’éditeur de Rimbaud à la Pléiade précise qu’il s’agit de faire le point sur la critique rimbaldienne. Il évoque la thèse d’Etiemble soutenue en  1952. Il nous dit qu’il a lui-même préparé sa thèse sous la direction du  terrible pourfendeur du mythe de Rimbaud. On sent qu’il a pour lui estime et admiration. Il pense qu’il faut mieux organiser la connaissance de la critique en systématisant l’accès à la bibliographie. Il avait publié naguère un article portant ce même titre : « Où en est Rimbaud ? » Mais depuis ce temps, il observe l’importance de l’informatique qui permet d’obtenir des repérages plus facilement qu’autrefois. Il regrette un peu ce qu’il appelle l’inflation des hypothèses mais note que Rimbaud l’a un peu suscitée lui-même par des expressions comme : « Trouvez… »; « J’ai seul la clef… » etc. Il évoque notamment cette inflation à propos du sonnet Voyelles qui a conduit Etiemble en 1968 à écrire un livre entier sur ce sujet. Il pense aussi qu’il faut aborder de manière objective la guerre dans les études rimbaldiennes qui peut être considérée comme un sujet d’études. C’est précisément le sujet que comptait aborder Éric Marty, qui n’a pas pu être présent.  Après cette brève introduction il donne la parole à Olivier Bivort.
    
    Olivier Bivort est  professeur à l’université "Ca' Foscari" de Venise. On lui doit des éditions de plusieurs recueils  de Verlaine au « Livre de poche », notamment une édition de  «Cellulairement » qui tire profit d’un manuscrit de Verlaine vendu récemment et classé «  trésor national ». Il est l’auteur de nombreuses publications sur Rimbaud. Je rappelle qu’il a identifié la phrase : «  Prends y garde, Ô ma vie absente » écrite au dos du manuscrit de Patience, comme étant de Marceline Desbordes-Valmore[1]. Indentification importante et encore peu exploitée à mon sens. L’intervention d’Olivier Bivort porte sur « la langue de Rimbaud ». Il distribue une bibliographie sur ce sujet de façon à aborder la question en commençant par une approche historique. Cette bibliographie compte 117 références, la plus ancienne datant de 1888. Il s’agit du Petit glossaire pour servir à l’intelligence des auteurs décadents et symbolistes, de Jacques Plowert. La plus récente étant Le Nouveau Dictionnaire Rimbaud de Claude Jeancolas, réédité en 2012 dont nous avons parlé sur ce blog. Dans cette bibliographie est également mentionné l’article d’André Guyaux publié dans Rimbaud ivre. Olivier Bivort cite un des premiers travaux importants sur ce sujet mais dont il n’existe que deux exemplaires ! Un, à la Bibliothèque de la Sorbonne, et l’autre à la Médiathèque de Charleville-Mézières. Il s’agit du diplôme d’études supérieures de langues  classiques de Françoise Des Maisons  : Le Vocabulaire, la syntaxe et le style de Rimbaud, Université de Paris, 1935.On observe que la monographie peu connue de François Ruchon de 1929 est citée aussi. Voici pour les anciens. Olivier Bivort parle avec éloge des travaux de Jean-Pierre Chambon sur le lexique de Rimbaud. Travaux qu’il considère comme plus élaborés que le dictionnaire de Claude Jeancolas dont il dit que la nouvelle version n’est qu’une réplique à l’identique de 1991.Il pense que sur un sujet aussi vaste que celui de la langue de Rimbaud il manque une synthèse. Ce sujet est d’autant plus important que le poète déclare dans ses écrits qu’il est à la recherche d’une nouvelle langue. Il signale aussi qu’il faudrait parler de l’oralité dans l’œuvre de Rimbaud.

    Le second conférencier est Jacques Bienvenu. Je n’ai pas beaucoup parlé de moi sur ce blog et je me permets à cette occasion d’indiquer mon parcours atypique. Je suis à l’origine un spécialiste de Maupassant, auteur sur lequel j’ai travaillé pendant 20 ans ayant publié  et dirigé sur cet écrivain une revue L’Angélus pendant 17 ans. Je suis docteur ès lettres avec une thèse sur l’auteur du Horla. J’ai aussi complété l’iconographie de l’écrivain  et  publié 50 documents inédits dans mon ouvrage  Maupassant inédit. J’ai montré que le portrait de Maupassant par Feyen-Perrin exposé à Versailles ne représentait pas l’écrivain normand. J’ai aussi prouvé que les souvenirs de Madame X attribuées à  une amie de Maupassant étaient des faux. Par ailleurs, je suis professeur de mathématiques à Marseille et j’ai publié un article sur les nombres premiers,  en ligne sur le site de l’école normale supérieure. Je travaille depuis 1995 sur Rimbaud. Je situe mes recherches sur les relations entre Rimbaud et Banville dans un sens nouveau. Je les présente dans la continuation de l’article d’Yves Reboul qui a prouvé que les attaques de Rimbaud dans L’Homme juste visaient Victor Hugo et non le Christ. Je montre qu’en 1978 Jacques Roubaud a souligné que, dans le poème « Qu’est-ce pour nous mon cœur… », Rimbaud a démoli l’alexandrin hugolien comme il l’avait annoncé à Banville. L’étude de Roubaud portant sur la métrique était révolutionnaire et je précise qu’un des plus grand progrès de la critique rimbaldienne porte sur cette question résumée dans le remarquable livre de Michel Murat : L’Art de Rimbaud (2002). Puis j’explique la nouvelle poétique de Verlaine et Rimbaud par une lecture critique du Petit traité de poésie française de Théodore de Banville. J’ai montré  que la publication du traité avait repris après une interruption d’un an dans L’Echo de la Sorbonne par un chapitre V qui sera la bible des symbolistes. Cette reprise coïncidait avec la présence de Rimbaud chez Banville en  novembre 1871. Le traité de Banville, selon moi, a été mal daté et personne ne pouvait imaginer  que ce poète oublié  pouvait avoir une telle importance pour Rimbaud. Puis j’expose mon idée que la nouvelle poétique de Verlaine et Rimbaud résulte d’une discussion critique qu’ils ont pu avoir sur les idées de Banville. Celui-ci  disait que seul Hugo aurait pu libérer le vers et que, ce que le géant n’a pas fait, nul ne le fera. Je pense que Rimbaud relève le gant et, d’accord avec Yves Reboul,  j’estime que c’est en se dressant contre Hugo, comme il l’avait fait dans L’Homme juste, qu’il va libérer le vers. Je publierai sur ce blog le texte de mon intervention. La parole est donnée ensuite à Yves Reboul.

    Yves Reboul est professeur honoraire de l'Université de Toulouse Le Mirail. Il vient de publier une somme de ses travaux dans un ouvrage intitulé : Rimbaud dans son temps  publié aux éditions Classiques Garnier. Son intervention porte sur un sujet qui lui est cher : « Rimbaud et le politique ». Il commence par  parler du rapport de  Rimbaud avec l'Histoire. Il observe que si Fénéon, le premier, à lu Rimbaud dans une perspective historique, on a longtemps présenté Rimbaud comme un voyant en négligeant son engagement politique. Il est  en effet d'abord perçu dans le cadre du mouvement symboliste où le  politique est exclu de son image: il ne faut pas oublier que la  publication des Illuminations en 1886 coïncide avec ce mouvement. La question de Rimbaud communard s'est donc longtemps cristallisée sur une question biographique : Rimbaud a-t-il participé à la Commune ? On  l'ignore toujours. La présence de la Révolution dans l'œuvre de Rimbaud est cantonnée à cette époque de la Commune et donc, pendant  longtemps à un bref laps de temps. La nouveauté est que certains   critiques, dont Yves Reboul fait naturellement partie, pensent aujourd'hui que Rimbaud est resté longtemps communard et qu'il ne faut  plus contenir ce rapport au politique à une seule partie de son œuvre. Yves Reboul se réjouit par exemple du fait que dans la  nouvelle Pléiade, le poème en prose de Rimbaud  Après le Déluge puisse  être envisagé sous l'angle politique. Il prends trois exemples dans les Illuminations qui s'articulent autour du politique : Démocratie,  Barbare, Génie. Certes, il précise que tout dans l'œuvre de Rimbaud  ne saurait se réduire à cet aspect politique, mais il serait vain d'ignorer cette importance. Comme je l'ai précisé au début il ne s'agit ici que de quelques notes qui ne peuvent donner toute la dimension de l'intervention. Je signale  une remarque intéressante d’Yves Reboul qui montre que George Sand a réhabilité Satan dans Consuelo, dès 1843, ce qui n'est pas sans  rapport avec l'œuvre de Rimbaud. Enfin j'ajoute qu’Yves Reboul a fait une longue critique d’une publication de David Ducoffre qui y a répondu récemment. La parole est donnée au dernier orateur Jean-Luc Steinmetz .

    Jean-Luc Steinmetz est professeur émérite à l’université de Nantes. C’est un spécialiste de Mallarmé, Lautréamont, Baudelaire, notamment. Pour ce qui nous intéresse ici, il est à la fois biographe et éditeur de Rimbaud. Son intervention porte sur l’édition de la correspondance de l’auteur du Bateau ivre qu’il prépare pour la collection GF destinée au grand public, ce qui pourrait constituer un événement. Il évoque le travail considérable que cela représente. Il cherchera dans ses annotations à souligner l’importance du destinataire. Rimbaud n’est pas le même selon qu’il écrit à sa mère, à Ilg ou à Bardey. L’édition d’une correspondance globale soulève la question de l’articulation entre les deux périodes de la vie de Rimbaud  (pendant et après la période littéraire). Certes, il note une discontinuité, mais pense que certains éléments rétablissent une façon d’être de Rimbaud. Il va à rebours, selon lui, d’une légende qui  est le trucage des lettres par Isabelle Rimbaud. Il pense qu’on a beaucoup exagéré sur ce dernier point. Il signale la copie peu connue par Claudel de la lettre d’Isabelle qui concerne la conversion de Rimbaud à son dernier moment. Rimbaud, dit-il, est « pratique » dans sa vie comme dans sa poésie. À travers sa correspondance, Jean-Luc Steinmetz montrera l’unité d’une vie et d’un tempérament. Par exemple, son  ironie est restée la même et il pense que le chemin du second Rimbaud peut se comparer au premier. Il évoque son refus de se fixer et son dégoût de la sédentarisation. Il est donc en accord avec les idées de ses amis Alain Borer et Alain Jouffroy.  Il ajoute même que Rimbaud se montre écrivain dans ses dernières lettres. Propos que nuancera André Guyaux dans sa conclusion en parlant de reflets d’écriture chez le second Rimbaud.

    On regrettera l’absence d’Eric Marty qui n’a pu venir. Le déroulement de cette séance (plus de trois heures) a été très agréable et la qualité d’écoute était remarquable. J’invite, comme je l’ai fait le 26 octobre, les étudiants, les doctorants et tous ceux qui s’intéressent  à  Rimbaud à participer à ce blog qui se veut ouvert. Il serait bon qu’il devienne le lieu d’échanges productifs des études rimbaldiennes.



[1] Identification faite aussi la même année par Lucien Chovet

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