dimanche 8 septembre 2013

" Rimbaud patriote ?", par Jacques Bienvenu

 © Musée Rimbaud
 © Musée Rimbaud
                                                                   

Nous dévoilons ici, pour la première fois, la feuille entière du Progrès des Ardennes du 25 novembre 1870, recto-verso. Ce journal qui contient l’article Le rêve de Bismarck signé Jean Baudry alias Arthur Rimbaud, est à présent au Musée Rimbaud. Je remercie vivement Alain Tourneux de m’avoir donné l’autorisation de le publier ici.


 Le Rêve de Bismarck a relancé la question du patriotisme de Rimbaud. Historiquement elle s’était posée en ces termes : Rimbaud avait écrit à Izambard le 25 août 1870 : « c’est épatant, comme ça a du chien, les notaires, les vitriers, les percepteurs, les menuisiers, et tous les Ventres, qui chassepot au cœur, font du patrouillotisme aux portes de Mézières ; ma patrie se lève ! … Moi j’aime mieux la voir assise ; ne remuez pas les bottes ! C’est mon principe. »

La situation était claire concernant le patriotisme du poète à ce moment-là. Mais en 1927, Izambard a révélé que Rimbaud avait écrit en septembre 1870, lors de son séjour à Douai, une pétition adressée au maire de cette ville. Il y réclamait des fusils pour ceux qui faisaient partie de la garde nationale. Le professeur en déduisait que depuis la proclamation de la république, le 4 septembre, Rimbaud s’était tout d’un coup retrouvé militariste et patriote. Izambard employait le terme de quatre-septembriste, pour qualifier le ralliement de Rimbaud à la guerre contre les Prussiens. Disons un mot de cette pétition. Il s’agit d’un texte manuscrit de la main de Rimbaud  qui porte à la fin une seule signature, celle d’un certain Félicien Petit, seul à avoir signé la pétition. Comme le souligne Bouillane de Lacoste, il s’agit d’une écriture calligraphiée qui intéresse peu le graphologue et où il observe quelques singularités. Il est permis de penser que c’est en présence de ce Félicien Petit que Rimbaud a recopié un texte dont Petit lui a peut-être soumis le brouillon (la signature de Félicien  Petit semble de la même encre que le manuscrit). Ce qui fait qu’on n’est même pas assuré que ce soit Rimbaud tout seul qui ait rédigé ce texte. Les souvenirs d’Izambard sont vieux de 57 ans quand il écrit son article, et on peut douter que Rimbaud ait manifesté le désir de s’engager avec son professeur dans la garde nationale. Curieusement, les premières publications du manuscrit de la pétition évitaient de donner la fin du document avec la signature de Félicien Petit. Izambard précisait même : « Il n’y aurait pas grand intérêt à reproduire en entier cet autographe » Ce n’est que récemment que Claude Jeancolas a publié, le premier, l’intégralité avec la signature finale.


Source : Passion Rimbaud

La publication du Rêve de Bismarck semble appuyer de manière décisive la thèse d’Izambard d’un Rimbaud devenu patriote après le 4 septembre. Néanmoins, il ne faut pas conclure trop vite. À la demande de Jacoby qui voulait des articles d’actualité et non des poèmes, Rimbaud avait envoyé au Progrès des Ardennes une caricature de Bismarck. Ceci peut simplement montrer que Rimbaud n’aimait pas le militarisme allemand, pas plus qu’il n’appréciait celui de la France qui avait déclaré la guerre. C’était, en outre, une occasion pour lui de publier un article dans la presse. Observons qu’il est étonnant que Delahaye n’ai rien su de cette publication dont il avait donné cependant une description assez proche dans ses souvenirs. On a beaucoup glosé sur le manque de fiabilité de Delahaye qui révèle cependant à cette occasion qu’il avait une bonne mémoire. En revanche, personne n’ose mettre en doute la parole d’Izambard qui serait le plus fiable des témoins même quand il donne des souvenirs de près de soixante ans.
Je ne trancherai pas sur le patriotisme de Rimbaud pendant la période qui succède au quatre septembre 1870. Je me borne à observer que moins de deux mois après la rédaction de la pétition, il écrit le 2 novembre 1870 à Izambard à propos de la guerre : « Par-ci par là, des francs-tirades – Abominable prurigo d’idiotisme, tel est l’esprit de la population. On en entend de belles, allez. C’est dissolvant. »

Rien de fondamental ne semble avoir changé. Il est utile dans ce débat sur le patriotisme de Rimbaud de donner le tract que les surréalistes avaient distribué le jour de l’inauguration du second buste de rimbaud à Charleville, le 23 octobre 1927. Je donne les pages de cet article connu qui s’intitulait Permettez ! et qui émettait quelques doutes sur la patriotisme de Rimbaud.



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