© Musée Rimbaud
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Le manuscrit autographe
de Promontoire est, à plus d’un titre, un document remarquable.
Ce poème en prose faisait partie de la liasse de poèmes qui se trouvèrent sur
le bureau de La Vogue en 1886. Il fut
publié dans le numéro 8 de la revue sous l’intitulé : « Illuminations
suite ». Il était suivi de deux autres poèmes en prose Scènes et Soir historique, puis de trois pièces de vers Michel et Christine, Bruxelles,
Honte. Après les publications
hebdomadaires puis en plaquette de La Vogue,
ce manuscrit parvint ensuite à l’éditeur Vanier qui le vendit au docteur
Octave Guelliot. Ce médecin l’avait acheté avec le livre de l’édition Vanier
des Illuminations et de la Saison en enfer de 1892, dans lequel
le manuscrit était inséré. Un fac-similé
de ce manuscrit fut révélé seulement en
1933, et la fille du docteur Guelliot en fit don par la suite au musée Rimbaud de
Charleville où il est à présent conservé. On peut lire en haut à gauche de ce
feuillet qu’il comporte de « légères
variantes » avec la page 34 de l’édition Vanier de 1892. Voici cette page
34 :
page 35 |
Ces « légères
variantes » sont en vérité d’importantes différences entre le manuscrit et
la version imprimée. On constate notamment que les mots « Scarbro’ »,
« penchants des têtes d’Arbre du Japon » ont été supprimés ; qu’une
ligne entière du manuscrit a sauté : « des côtes, - et même aux ritournelles des vallées ».
Cependant, il se trouve que ce n’est pas le manuscrit de Promontoire qui a servi directement pour l’impression dans La Vogue, mais une copie allographe. La première page de cette copie a figuré au catalogue de la vente Berès du 20 juin 2006.Voici, pour la première fois, les deux pages de ce manuscrit allographe qui est conservé lui aussi au Musée Rimbaud de Charleville.
© Musée Rimbaud
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© Musée Rimbaud
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On observe que les deux
pages de ces feuillets comportent certaines erreurs reproduites dans les
éditions de La Vogue (revue
hebdomadaire et plaquette) et dans l’édition de Vanier, notamment la ligne
entière du manuscrit qui a sauté comme on peut le constater sur la deuxième
page du document allographe. On mesure avec quelle légèreté le manuscrit
original a été reproduit.
Mais les conséquences importantes de cette information
sont ailleurs. On réalise que le manuscrit de Promontoire est le seul des manuscrits de Rimbaud publiés par La Vogue à ne pas être paginé. Tous les
autres manuscrits publiés dans cette
revue, comportent, sans exception, un chiffre dans la marge où en haut du
feuillet. Le manuscrit allographe de Promontoire
comporte la numérotation qui correspond à celle du numéro 8 de la Vogue et on voit aussi la signature d’un prote qui
indique le nombre de lignes. On comprend d’ailleurs ce qu’il a dû se passer. Le
manuscrit étant très raturé, il semble vraisemblable que ce soit pour cette
raison qu’il ait été retranscrit. Il en résulte que Rimbaud ni aucun autre, ne
l’avait paginé, bien qu’il fît partie de
la liasse des poèmes en prose de La Vogue.
Si Rimbaud avait paginé les poèmes d’Après
le Déluge à Barbare dans le but
de constituer un recueil cohérent, on se demande pour quelle raison il aurait
oublié Promontoire qui s’apparente de
près à d’autres poèmes de l'hypothétique recueil. Lorsque Fénéon a présenté l’édition
en plaquette de La Vogue, il a tout
naturellement regroupé Promontoire
avec Villes, Métropolitain et Scènes.
Dans la seconde édition de son livre, parue en 2013, L’Art de Rimbaud, Michel Murat explique d’abord que Fénéon avait compris « les enjeux idéologiques » des poèmes en prose, en bon anarchiste qu’il était, en redistribuant les poèmes dans la plaquette de La vogue, mais qu’on ne pourrait en déduire que Fénéon avait dès le début « suivi sa propre inspiration » pour folioter les manuscrit de la BN. Il ajoute en note :
Dans la seconde édition de son livre, parue en 2013, L’Art de Rimbaud, Michel Murat explique d’abord que Fénéon avait compris « les enjeux idéologiques » des poèmes en prose, en bon anarchiste qu’il était, en redistribuant les poèmes dans la plaquette de La vogue, mais qu’on ne pourrait en déduire que Fénéon avait dès le début « suivi sa propre inspiration » pour folioter les manuscrit de la BN. Il ajoute en note :
C’est la thèse soutenue récemment par Jacques
Bienvenu : « Le fait que Fénéon a complètement changé, dans la
plaquette, l’ordre adopté par lui dans La
Vogue hebdomadaire, prouve bien qu’il avait dès le début, suivi sa propre
inspiration » (Jacques Bienvenu, « la pagination des Illuminations, consulté le 26/09/2012
sur internet à l’adresse : http://rimbaudivre.blogspot.fr/2012/02/la-pagination-des-illuminations-par.html.) Que Fénéon soit
responsable de la pagination de la préoriginale, c’est précisément ce qui reste
à démontrer : l’argument relève d’une pétition de principe.[1]
Une première remarque
est que Michel Murat m’attribue une phrase qui n’est pas de moi mais de
Bouillane de Lacoste[2] ce
qui en modifie la portée. En effet, on a peu souligné le fait que l’expert en graphologie rimbaldienne, Bouillane de Lacoste,
ne pensait pas que la pagination était de Rimbaud.
La deuxième remarque est que
ce n’est pas « une pétition de principe » de penser que Fénéon était responsable de la pagination de la préoriginale.
On a tout de même son témoignage, le seul qui soit vraiment précis dans une
lettre du 30 avril 1939 à Bouillane de Lacoste : « j’ai préparé les
Illuminations non seulement pour leur publication dans le périodique, mais pour
leur réimpression en plaquette. Si entre ces deux opérations, leur ordre s’est
modifié, ce changement, quelque inopportun et fâcheux qu’il puisse être, m’est expressément
imputable »[3].
Michel Murat cite de manière inexacte et partielle cette lettre, avec une
mauvaise référence, dans sa nouvelle
édition : « De l’une à l’autre[4],
le changement m’est expressément imputable »[5] en
ne citant pas la phrase qui précède. Cette citation tronquée ne montre pas que
Fénéon s’est occupé des deux publications. Observons, en outre, que Fénéon se souvient d’une mutation de personnel, au
moment de la publication du numéro 6, laquelle est attestée par les nouveaux
noms des protes qui apparaissent à partir du numéro7 dans les marges des
manuscrits[6]. Ce
changement de personnel correspond d’ailleurs à une nouvelle pagination des
manuscrits. D’autre part ce témoignage de Fénéon dans la lettre de 1939 rejoint celui qu’il
avait donné dans son compte rendu des
Illuminations donné dans Le Symboliste en 1886 : « Les
feuillets, les chiffons volants de M. Rimbaud, on a tenté de les distribuer
dans un ordre logique. »
Une troisième remarque, la plus importante à mon
sens, est que Michel Murat ne renvoie pas à la seconde partie de mon article où l’essentiel de mon raisonnement est formulé[7]. Le
jugement de Bouillane de Lacoste n’était qu’une introduction à l’ensemble de ma
démonstration où je réfute l’hypothèse d’une pagination autographe par des arguments codicologiques précis. J’ajoute que
dans sa première version de L’Art de Rimbaud, Michel Murat avait écrit dans son paragraphe « Le recueil » (page
260, édition 2002) : « Dans le cas où l’hypothèse de la pagination
autographe, dont cette réflexion sur le recueil est tributaire, serait réfutée
de façon décisive, les remarques qui suivent conserveraient une partie de leur
portée[…] » Dans la nouvelle version de 2013, au même paragraphe
« Le recueil » (page 213) on observe que la phrase précédente a été
supprimée. On voit que pour Michel Murat l’hypothèse du manuscrit paginé par
Rimbaud est acceptée à présent sans réserve. La question de la pagination des
manuscrits est purement factuelle. Il ne doit pas y avoir de « pétition de
principe » ou « d’enjeu idéologique » dans ce débat. Le manuscrit
de Promontoire, non paginé et publié
dans les conditions que l’on vient de voir, est une pièce supplémentaire à ajouter
au dossier et une raison de plus de ne pas attribuer à Rimbaud la pagination
des manuscrits publiés dans La Vogue.
Mais le manuscrit de Promontoire n’a pas fini de nous
étonner. La présence du mot Illumination
écrit d’abord au crayon au singulier, puis écrit à l’encre au pluriel est aussi
un cas unique pour les manuscrits des Illuminations.
Cela fera l’objet d’une autre publication.
[2]
Arthur Rimbaud, Illuminations, édition critique par H.
de Bouillane de Lacoste, Paris, Mercure de France, 1949, p.155
[3] Ibid., p.139.
[4] C’est moi qui souligne l’erreur
de transcription.
[5] L’Art de Rimbaud, op.cit, p.203, note 25..Michel Murat écrit que la
lettre est citée p. 139 dans La thèse de Bouillane de Lacoste Rimbaud et le problème des Illuminations
alors qu’il s’agit de l’édition des Illuminations
par le même Bouillane.
[6] Arthur Rimbaud, Illuminations, Bouillane de Lacoste, ed.
cit., p.141
[7]
À la date où Michel Murat a
consulté la première partie de
l’article, le 26/09/2012, la seconde partie était en ligne, annoncée et
accessible par un lien à la fin du premier article.
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