jeudi 3 avril 2014

Rimbaud ou le meurtre du père Hugo, par Jacques Bienvenu

                                                                        

               

L’importance de Victor Hugo pour Rimbaud n’est plus à démontrer, mais elle a pris un tour saisissant depuis qu’Yves Reboul, dès 1985, a proposé de voir dans L’Homme juste l’auteur illustre des Misérables. Cette étude marque, à mon sens, un triomphe de l’analyse critique et ses conséquences incalculables sont encore à mesurer aujourd’hui. Dans la lettre du « voyant » adressée à Demeny le 15 mai 1871, Rimbaud se livrait à quelques critiques bien connues à l’égard d’Hugo : « trop de Belmontet et de Lamennais, de Jéhovas et de colonnes, vieilles énormités crevées. » Il le trouvait trop « cabochard ». Mais la critique restait nuancée : le jeune poète reconnaissait qu’« il a bien du vu dans les derniers volumes » et ajoutait  « Les Misérables sont un vrai poème ». La vraie surprise est que deux mois plus tard, en juillet, dans L’Homme juste, l’opinion de Rimbaud change dans un sens radical. Ce sont même des insultes que profère Rimbaud contre l’auteur des Châtiments. L’explication de cette évolution donnée par Yves Reboul est que Rimbaud, qui  avait entre temps appris l’écrasement de la Commune par les versaillais,  ne supportait pas la position de Hugo qui implorait le pardon des communards après les avoir attaqués. Les arguments de Reboul sont décisifs. Je renvoie à la dernière version de son article de 1985 recueilli dans Rimbaud dans son temps.[1]
Dans son ouvrage L’Art de Rimbaud, Michel Murat évoque avec beaucoup de pertinence cette évolution du poète de Charleville vis-à-vis d’Hugo : « Pour prendre l’exemple de la veine hugolienne de Rimbaud, on peut décrire le rapport entre Le Forgeron, L’Homme juste et « Qu’est-ce pour nous » comme un processus quasi linéaire de radicalisation. »[2]

Le mathématicien et poète Jacques Roubaud publiait, en 1978,  un livre - La Vieillesse d’Alexandre -  qui donnait au poème « Qu’est-ce pour nous » un rôle décisif dans l’histoire de la poésie. Il se plaçait d’un point de vue peu compris à l’époque, celui de la métrique, et jugeait que  ce poème marquait le moment précis d’une « catastrophe » : la destruction de l’alexandrin. Il expliquait que certaines caractéristiques du vers alexandrin concernant la césure à l’hémistiche y étaient « massivement » niées. Par ailleurs, il exprimait l’idée d’un rapport entre la parole du poème, qui est destruction, et la destruction métrique. Il invente l’équation : alexandrin = ordre social. Ainsi détruire l’alexandrin équivaut à détruire l’ordre social. On trouve ici la pensée typique d’un mathématicien habitué à trouver une structure commune à deux schèmes distincts et à les relier.


Mais il est un autre aspect de l’étude de Roubaud qui doit être relevé car il relie aussi la révolution poétique de Rimbaud à celle de Hugo.  
Il écrit :
« La pierre de touche est l’alexandrin hugolien tel, par exemple, qu’il apparaît dans un livre contemporain, L’Année terrible. Il n’y a pas à ce moment, de prosodie plus avancée dans la voie du brouillage métrique que celle là ». Il explique que chez Rimbaud,  la destruction métrique se fait dans le cadre d’une prosodie « hyper-hugolienne », qui est celle de presque tous les alexandrins de Rimbaud.

C’est la raison pour laquelle je suis tenté de prolonger l’équation de Roubaud par l’équation : alexandrin  = Victor Hugo : détruire l’alexandrin c’est aussi détruire le mètre du Maître c'est-à-dire Hugo lui-même. Tel est la voie que j’entreprends aujourd’hui et que  j’aimerais relier à mes travaux précédents sur… le Petit Traité de poésie de Théodore de Banville. Ceci est d’ailleurs déjà préfiguré par cette judicieuse remarque de Michel Murat dans sa nouvelle édition de L’Art de Rimbaud :
« Qu’est-ce pour nous… peut être lu comme une destruction « rageuse » de l’alexandrin romantique, celui de Hugo, que le Petit Traité de poésie française  de Banville venait d’ériger en paradigme. »[3]
À noter que la remarque de Murat concernant le traité de Banville a été ajoutée dans la seconde édition.  C’est un fait, en effet, que Banville avait pris pour  modèle l’alexandrin de Hugo dans son traité. Ainsi, dès le début de son ouvrage, l’auteur des Odes funambulesques commence à dire que la Bible et l’Evangile du versificateur doit être La légende des Siècles, puis suivent dans le traité,  de nombreux éloges et parfois des critiques qu’il fait en s’excusant avec déférence. Enfin, il termine ses leçons de versification en disant qu’on est poète en raison de l’admiration que l’on éprouve pour Victor Hugo. On ne peut guère aller plus loin dans  la vénération.




Cependant, Banville exprimer dans le chapitre V de son Traité, l’idée que son maître qui avait effectué une révolution poétique aurait dû aller plus loin. Citons ce passage essentiel qui sera repris au moment où on parlera des symbolistes et des décadents.

« Quel malheur que cet Hercule victorieux aux mains sanglantes n’ait pas été un révolutionnaire tout à fait, et qu’il ait laissé vivre une partie des monstres qu’il était chargé d’exterminer avec ses flèches de flamme ! Il pouvait lui de sa puissante main, briser tous les liens dans lesquels le vers est enfermé, et nous le rendre absolument libre mâchant seulement dans sa bouche écumante le frein d’or de la rime ! Ce que n’a pas fait le géant, nul ne le fera, et nous n’aurons eu qu’une révolution incomplète. »

Comme je l’ai prouvé, c’est précisément au moment où Rimbaud est en contact avec Banville, en novembre 1871, que le chapitre V du Traité reprend dans l’Echo de la Sorbonne. Il est donc infiniment probable que c’est à ce moment que Rimbaud a pu prendre connaissance de ce texte.
                                       
Le Petit journal,  9 novembre 1871
                   
 L hypothèse, que je vais développer à présent,  est que l’orgueilleux poète de 17 ans, suite à cette lecture, relève le gant et décide que Lui, Rimbaud, sera le vrai poète révolutionnaire qui va libérer le vers !
Enfoncer le père Hugo deviendra l’une de ses priorités. N’oublions pas qu’à cette époque Hugo revenait à Paris après 20 ans d’exil, c’était un personnage considérable. Son livre L’Année terrible était annoncé, certains extraits avaient paru dans la presse.
Jacques Roubaud va nous aider à comprendre ce qu’il fallait entendre par révolution incomplète.
Dans son chapitre intitulé « La révolution hugolienne », Roubaud explique que Hugo avait créé les conditions d’un nouvel alexandrin, mais il ajoute : « et c’est là un fait capital il s’arrête en chemin, en ce sens qu’il ne détruit jamais complètement la possibilité d’un marquage à la position 6. » En d’autres termes, le fameux trimètre de Victor Hugo, même, s’il affaiblit la césure,  ne la supprime jamais complètement. Ainsi, la césure  ne coupera jamais un mot à l’hémistiche comme le font par exemple plusieurs vers de Rimbaud dans le poème de destruction métrique : « Qu’est-ce pour nous … »
Voici deux vers qui se succèdent dans ce poème, on indique par le signe | la césure qui coupe le un mot au milieu, ce que Hugo n’avait jamais fait dans les milliers d’Alexandrins qu’il a écrit :

Europe, Asie, Amé | rique, disparaissez.[4]
Notre marche venge | resse a tout occupé

Le lecteur peu accoutumé à ces questions de métrique doit comprendre que Rimbaud lui-même écrivait en novembre 1870 à Izambard qu’il avait repéré une « forte licence » dans les Fêtes galantes avec le vers : « Et la tigresse épou | vantable d’Hyrcanie ». C’est lui-même qui marque comme je le fais la coupure (voir notre reproduction infra) et on peut comprendre que ceci n’est pas anodin pour la compréhension de l’évolution de la technique de Rimbaud concernant l’alexandrin. En novembre 1870 Rimbaud n’avait pas l’intention d’attaquer aussi violemment l’alexandrin à sa césure.

observer la barre verticale de Rimbaud placé à la césure

Une autre étude plus ancienne (1909) de Philippe Martinon avait déjà bien précisé cette question mais en relevant l’importance de Banville. Benoît de Cornulier dans sa thèse soutenue en  1979[5]  après les travaux de Roubaud, s’est dit-il inspiré de l’étude de Martinon qui dit à propos de Hugo :

« Il respecte la césure, c’est vrai, en l’affaiblissant, comme l’autre respectait la loi en la tournant. Mais pourquoi la respecte-il ? Pour la forme, sans plus, et, il faut oser le dire, par timidité ! Il crée un rythme nouveau, mais il n’ose pas aller jusqu’au terme logique de sa réforme. Il s’entête à vouloir sauver les apparences. Les grands révolutionnaires sont parfois les gens les plus timides en dehors de leur objet principal. V. Hugo révolutionne le rythme, mais il respecte la césure, parce qu’il respecte la prosodie, superstitieusement, comme la grammaire. »

On observe que, de Banville en 1871, en passant par Martinon en 1909, puis Roubaud en 1978, un élément essentiel qui appartient à l’histoire de la prosodie a été mis en relief. On peut dire que couper un mot à l’hémistiche, à l’époque de Rimbaud, est un acte anti-hugolien. Mais le plus étrange dans cette histoire est que le premier vers révolutionnaire qui ne respecte pas cette césure, c’est Banville qui l’a osé …
Comment ? Lui, prosterné devant Hugo, il  aurait eu ce moment de folie - unique dans toute son œuvre - de se révolter contre son Maître ? Le contexte d’ailleurs est à préciser. Nous sommes en 1861 dans La Revue fantaisiste où Banville et son ami Baudelaire rivalisaient dans des tentatives nouvelles. Banville publiait Améthystes,[6] ce recueil oublié, qui ne respecte pas l’alternance en genre des rimes tandis que Baudelaire dans le même temps écrivait des petits poèmes en prose.
Voici ce vers de Banville dans La Reine Omphale :

Où je filais pensi | vement la blanche laine. [7]

Je crois que les métriciens actuels, n’ont pas vraiment accordé à ce vers l’importance qu’il méritait. La date de 1861 est bien mentionnée par Philippe Martinon, mais elle n’est pas retenue par Cornulier dans sa thèse, qui donne 1866. Cette date de 1861 sera même niée comme une tromperie volontaire ( ! ) de Banville dans  l’ouvrage Critique du vers de Jean-Michel Gouvard publié en 2000[8].  
On voit bien que la césure à l’hémistiche dans le vers de Banville, ne peut plus exister et on comprend que Leconte de Lisle ait put dire en 1891 que Banville avait « déplacé » la césure. En fait, comme le note Philippe Martinon : «  ce fut une tentative unique d’un vers révolutionnaire chez Banville qui le changera en 1875 dans une nouvelle édition,  parce qu’il s’était repenti de s’être écarté des traces de son  Maître ».



Le vers en question ne passera pas inaperçu[9] surtout après la publication des Exilés en 1866. Il sera suivi par un grand admirateur et ami de Banville, Mallarmé, qui avait lu La revue fantaisiste. Il écrivit deux vers qui s’apparentent au vers de Banville comme le remarque Cornulier toujours dans sa thèse :
Accable belle indo | lemment comme les fleurs ( L’Azur)
à me peigner noncha | lamment dans un miroir ( Hérodiade)
Mais lorsque Rimbaud écrira à Paris le vers suivant qui est lui aussi à l’évidence à l’image du vers de Banville :
Eclatent, tricolo | rement enrubannés.
Cornulier ne verra plus le vers de Banville, comme si celui-ci n’existait plus, mais il supposera même que le poème a été écrit par Verlaine. On peut  comprendre l’hypothèse de Cornulier. On sait que Verlaine qui suivait lui-aussi les innovations métriques de Banville qu’il admirait, avait avant Rimbaud osé couper un mot à la césure d’un alexandrin. Que Verlaine ait joué un rôle à Paris dans l’élaboration d’une nouvelle poétique et que des conversations aient eu lieu entre les deux poètes c’est bien évident. Néanmoins, je pense que c’est Rimbaud qui a écrit Ressouvenir et qu’il ne pouvait ignorer le vers des Exilés qu’il avait lu.
Significatif aussi le fait que Michel Murat écrive à propos de ce vers de Ressouvenir : « Rimbaud place au milieu un long adverbe, semblable à ceux qui chez Baudelaire occupaient tout un hémistiche »[10]. Baudelaire n’a jamais fait de vers ainsi décrit, et Murat a confondu avec ceux de Mallarmé que nous avons cités plus haut. Il ne peut pas avoir confondu Baudelaire avec Banville car il parle de plusieurs vers. Ce qu’il faut retenir de ce lapsus, c’est l’oubli du vers anti-hugolien de Banville.
En revanche, Michel Murat ne se trompe pas à propos de L’Homme juste. Concernant le vers :
Cependant que silen | cieux sous les pilastres
Il note que Rimbaud pastiche juste avant ce vers une rime de La Légende des Siècles et  ajoute :
« Mais Hugo n’aurait jamais écrit un tel vers, avec « que » 4eme […] et césure au milieu d’un mot : silen-cieux. » [11]
 On voit donc qu’à la violence de l’attaque contre Hugo, prouvée par Yves Reboul, se joint une attaque métrique anti-hugolienne.
Il existe, à mon sens,  une autre étape anti-hugolienne entre l’homme Juste et « Qu’est-ce pour nous », qui est le Bateau-ivre. (Ce poème célèbre a été, comme on le pense maintenant, écrit à Paris[12]).  Si Rimbaud est en marche pour la révolution prônée par Banville Il me semble que Le Bateau ivre présente des indices qui vont dans le sens d’une destruction de l’alexandrin. Rival d’Hugo, Rimbaud veut l’écraser, montrer qu’il est plus fort que lui. Il a été prouvé que ce fameux poème totalise toutes les audaces métrique d’Hugo en les dépassant avec les deux fameux vers anti-hugoliens bien connus :
Je courus ! et les péninsules démarrées
N’ont pas subis tohu-bohu plus triomphants

Attaque contre la fameuse césure à l’hémistiche qui fait dire à J.M Gleize à propos de ces deux vers : « Quand le bateau se libère on croit entendre craquer la coque de l’Alexandrin ». Il est possible que le mot péninsule coupé en deux à la césure soit un clin d’œil au mot pensivement de Banville, les deux mots commençant tous les deux par « pen[13] ». À cela il faut ajouter un pastiche de ce qui caractérisait Hugo selon Banville, la rime riche. Notamment les rimes gigognes (incluses l’une dans l’autre) que l’on trouve à foison : cibles/ impassibles ; marées / démarrées ; sures / vomissures ; Lyres / délires ; peaux / troupeaux ; nasses/ bonaces ;anses/ Hanses ; eau/oiseau ; triques/ électriques ; noirs / entonnoirs ; iles / exiles ; mer/ amer ; mai/ embaumés ; lâche/ Flaches ; lames / flammes. Hugo s’était fait une spécialité de ce procédé ludique et Banville l’avait justement parodié dans ses Odes funambulesques. Par ailleurs, maintes allusions à Hugo ont déjà été relevées depuis longtemps dans ce poème.

Mais l’un des aspects du génie de Rimbaud et non des moindres est que la parodie est, pour lui, un système de création. L’originalité du Bateau ivre le montre.

Rimbaud a voulu montrer, en particulier à Banville, qu’il serait plus fort que Hugo, le vrai révolutionnaire capable de libérer le vers. C’est en termes d’opposition qu’il faut considérer la relation Rimbaud-Hugo. Rimbaud a eu à un moment la volonté d’écraser  Hugo et même de l’anéantir. Le poème « Qu’est ce pour nous… » est la mise à mort finale dans un parcours hallucinant qui passe par l’Homme juste et Le Bateau ivre. Enfin ce n’est peut-être pas  un hasard si le seul témoignage direct que nous ayons de Banville sur Rimbaud précise qu’il lui avait demandé un jour « s’il n’allait pas être bientôt temps de supprimer l’alexandrin ! »[14]





[1]Yves Reboul,  À propos de L’Homme Juste, Classiques Garnier, 2009, p.147.
[2] P.27 dans les deux éditions. Je note à présent A1 l’édition Corti 2002 et A2 l’édition Corti 2013.
[3] A2,p.50 pour cette citation avec mention du traité(voir infra). Sinon A1,p.58.
[4] Dans son fameux chapitre V, Banville dit que Hugo avait trouvé la formule moderne de l’alexandrin « comme toutes les autres Amériques »( p.95). Je me demande si le mot Amérique coupé en deux dans ce poème là n’est pas une allusion au texte de Banville.
[5] J’ai pris le parti dans cet article, pour ce qui concerne les travaux de Benoît de Cornulier, de ne citer que sa thèse de 1979. Je le fais car elle a été soutenue après les travaux de Roubaud qui ont commencé dans les années 1970. L’un des articles de Roubaud cité par Conulier est en ligne, il date de 1974.Il faut lire l’avant - propos de la thèse de Cornulier : « La méthode d’analyse métrique employée ici  ne prétend pas être originale ; elle ne fait que développer et systématiser des arguments dont on trouve des esquisses dans certaines études, comme celle de Martinon (1909), Rochette ou la thèse de Morier 1943-1944. »  En effet, les idées métriques essentielles de Cornulier se trouvent dans les ouvrages cités, comme la remarquable thèse d’Auguste Rochette sur l’alexandrin hugolien (1911). Ainsi, l’idée du métricien de Nantes qui est de conserver une lecture 6-6 à un trimètre est reprise de Rochette. Observons cependant, qu’il n’est pas question de Roubaud dans les travaux antérieurs cités dans l’avant-propos. Tout se passe comme s’il n’existait pas. Pis encore, les rares fois où Roubaud est mentionné, il est critiqué.Par ailleurs, cette thèse comporte la matière de plusieurs publications futures de Cornulier. Son livre Théorie du vers, écrit à la même époque, en est issu. Dans son dernier ouvrage De la métrique à l’interprétation, l’article intitulé L’alexandrin n’est, précise en note le métricien, qu'une  version localement retouchée d’un article de 1978. L’auteur ajoute même qu’une version plus complète se trouve dans sa thèse de 1979.  Cette thèse a l’avantage d’être un  plus facile à lire que d’autres publications du même auteur. Il a eu la bonne idée de la mettre en ligne sur son site, et tout le monde peut ainsi y avoir accès.  Certains rimbaldiens, qui n’entrent pas volontiers dans le point de vue technique du métricien sont prudents. Pour ma part,  j’observe que lorsque Cornulier passe de la métrique à l’interprétation il n’est pas convaincant. Le métricien a ses thuriféraires, dans un petit cénacle où on se cite entre amis dans des publications confidentielles. Il serait temps d’ouvrir un peu le champ de la discussion. Je suis très réservé sur ses analyses, notamment sur celle du poème « Qu’est-ce pour nous… » qui a masqué ce qu’en disait Roubaud de vraiment génial. Ce dernier  avait ouvert une voie, Cornulier s’y est engouffrée, sans l’avouer, sauf  à critiquer son prédécesseur. Il en est  résulté, à mon sens, un recul pour les études rimbaldiennes.
[6] Qui ne sera en revanche pas oublié de Verlaine et Rimbaud et qui permet, selon moi, de comprendre le non respect de l’alternance en genre comme dans le poème « Qu’est-ce pour nous … ».
[7] Je ne donne pas la notation classique  + à la césure volontairement, pour mieux marquer la coupure. J’utilise la notation de Rimbaud…
[8] P. 216.Une page entière avec des explications sur le fait que Banville avait antidaté son poème. J-M Gouvard fait partie de « L’école de Nantes ». Que penser de ces métriciens qui ne connaissent pas La Revue fantaisite, cette revue capitale dans l’histoire des audaces métriques ? Signalons une autre erreur : le vers de Rimbaud rectifié depuis 1998 : Forêts, soleils, rios, savanes ! –Il s’aidait, est donné encore sous son ancienne forme avec « rives » au lieu de « rios », deux ans après  la vente Jean Hugues qui permit la bonne lecture. En fait, les vers de cette nature apparaissent notamment dans le poème « Qu’est-ce pour nous… », vers anti-hugoliens eux aussi.
[9] Martinon signale un vers de Madame Blanchecotte un peu antérieur, mais historiquement, c’est le vers de Banville qui sera remarqué par les poètes ainsi que l’attestent leurs commentaires et imitations concernant cette audace.
[10] A1,p.49 et A2,p.43.
[11] A1,p.48 et A2,p.42
[12] Voir surtout : Steve Murphy, Logiques du bateau ivre, « Rimbaud et la Commune », Classiques Garnier, 2010, p. 501-505.
[13] Toujours dans sa thèse de 1879,  l’hypothèse intéressante de Cornulier consistant à dire que la césure « conservée » à l’hémistiche donne un effet de mimésis du « lâcher tout » peut être comprise comme un moyen d’en remontrer à Banville, en donnant un effet de sens à sa césure, et donc de montrer qu’il surpasse Banville dans l’audace.
[14] Le National, 16 mai 1872

7 commentaires:

  1. Madame Rimbaud qui a du style ajoute exprès un « t » à la fin de Victor Hugo : elle déconseille la lecture des Misérables de Victor Hugot à son fils. Ce « t » ridiculise le grand écrivain exactement comme la barre verticale du poète qui tranche à la césure; comme la si viride colonne Vendôme quand elle s'effondre.

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    1. C’est la première fois que l’on suggère que Madame Rimbaud a fait « exprès » de mettre un t à la fin de Hugo. C’est In(t)éressan(t). Je reconnais, par ailleurs, votre ironie habituelle, mais vous participez au blog et je l’apprécie. Je comprends que d’autres lecteurs n’osent pas intervenir sur un article aussi long. Il faut être lucide. Qui s’intéresse aujourd’hui aux césures à l’hémistiche d’un alexandrin ? Sans doute, cet article s’adresse vraiment à des « spécialistes » (l’affreux mot !) et je m’en excuse pour les lecteurs que j’aurais ennuyés.

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  2. J'ai pris aujourd'hui connaissance de cet article. Ce qui est dit au sujet de Benoît de Cornulier me semble injuste. Je considère qu'il est nécessaire pour moi de tenter ma mise au point selon mon point de vue. J'ai cette semaine besoin de la tranquillité la plus absolue, je réagirai ensuite et donc la moindre des choses est de l'annoncer.

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  3. « la moindre des choses » est annoncée. David Ducoffre est un grand adepte des théories de Cornulier. Le métricien le cite plusieurs fois dans son dernier ouvrage, et il l’a invité à écrire un article en ligne dans Cahiers du Centre d'Études Métriques à l’adresse : http://www.crisco.unicaen.fr/verlaine/ressources/CEM/5_Ducoffre_rimbaud.htm

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  4. Si la discussion se poursuit, j'aimerais qu'elle porte sur le vrai sujet de mon article : l'opposition Hugo-Rimbaud. Mais c'est au lecteur d'en décider...

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  5. Il faut vraiment tomber sur ce site par hasard pour ne pas y trouver de quoi méditer, même si l'on n'est pas un spécialiste ni même un amateur, et du grain à moudre sur la poésie et son évolution au cours des deux siècles passés. Je me demande d'ailleurs si, de nos jours, se trouvent encore des poètes pour réfléchir à la métrique, quand celle-ci ne désigne pas l'écartement des voies de chemin de fer touristiques.

    La rébarbative glose au sujet de la métrique de l'alexandrin devient ici non seulement compréhensible, mais encore intéressante ; on a envie d'approfondir… C'est donc une réussite, ce qui, de prime abord, n'était pas évident, et en définitive, est une performance qui mérite d'être applaudie, ce que je fais très volontiers ici.

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  6. C’est très aimable à vous de me dire que mon article, bien que portant sur un sujet rébarbatif (c’est votre mot), soit compréhensible. Oui j’essaye, d’être clair et je crois que c’est le devoir d’un critique. Les métriciens n’ont guère fait d’efforts en ce domaine et leurs articles techniques en ont rebuté plus d’un. Un nombre important de grands rimbaldiens qui s’expriment admirablement dans notre langue, ont été souvent découragés par la métrique, je crois, à cause de cela. Ils restent prudents en ce domaine. Dans cet article, je me suis concentré volontairement sur un aspect simple de l’histoire de l’alexandrin : l’enjambement d’un mot à la césure, et je m’en suis tenu là. Permettez-moi cependant de vous dire que ce n’est qu’un élément de mon article. J’ai surtout voulu montrer l’opposition de Rimbaud et de Hugo deux monstres sacrés de la poésie ! C’est le cœur de mon article. J’ai largement utilisé des travaux antérieurs et remarquables ( Roubaud, Reboul, Murat, notamment). Si j’ai réussi à être compréhensible sur un sujet aussi difficile, je vous suis très reconnaissant de vos encouragements.

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