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Alors que
l'on s'occupe beaucoup, en ce moment, du Rimbaud africain, il est bon
de se replonger dans la poésie de Rimbaud. C'est le sujet d'un
livre récent de Hisashi Mizuno qui s'intitule : Rimbaud entre vers et prose. La première
qualité de cet ouvrage est qu'il est bien écrit. On ne trouve pas
dans cette étude le jargon de certains critiques qui rend si pénible
la lecture.
Hisashi
Mizuno expose son programme dans sa préface. Après avoir noté la
rapidité de la révolution poétique rimbaldienne qui « se
consume avec une rapidité inouïe en laissant une trainée
incandescente » (p.8), il veut poser les jalons de ce qu'il
appelle son parcours magique
qui était annoncé par Verlaine : « Le poète
disparaissait. […] Un prosateur étonnant s'ensuivit » . Pour
cela il distingue les étapes suivantes : les lettres du voyant
qui mélangent prose et vers, « Ce qu'on dit au poète à
propos de fleurs », les
Proses évangéliques,
puis « Alchimie du verbe » qui mélange aussi vers et
prose.
On se trouve
en présence d'un critique qui touche à des questions essentielles,
celles de la nature de la poésie rimbaldienne. De plus, Hisashi
Mizuno est un spécialiste de Gérard de Nerval et cela lui permet de
jeter des ponts inattendus entre Rimbaud et le grand poète
d'Aurélia.
Il commence
son étude par les lettres du voyant, qu'il commente longuement. Pour
le critique, les poèmes insérés dans la prose n'illustrent pas la
poésie de l'avenir. Celle-ci aboutira dans les poèmes en vers de
1872 : « la théorie du poète voyant a toujours prévalu sur
les quatre poèmes, et ce seront les vers de 1872 qui seront adoptés
pour Une saison en enfer dans
« Alchimie du verbe ».(p.47-48)
Dans le
chapitre suivant, qui illustre toujours le passage des vers à la
prose, une surprise nous attend : l'importance accordée au poème « Ce
qu'on dit au poète à propos de fleurs ». Le critique japonais est
parfaitement au courant de l'importance du Traité
de Banville que j'ai révélée à propos de
la conception de ce poème plein de mystères.
Selon l'auteur, les vers de Rimbaud, qui se présentent comme un
traité de poésie, marquent un jalon essentiel dans ce qu'il nomme
une poésie de l'informe : ce poème « ouvre une voie dans
la poésie du nouveau
conçue par le poète précoce qui ose lancer un défi à ses maîtres
du Parnasse ».
Le passage
le plus brillant du livre me paraît celui qui concerne les
Proses évangéliques. C'est, dit le
critique, le moment où Rimbaud exprime le sommet de son génie en
faisant surgir une écriture poétique en prose qui transforme la
biographie de l'Évangile selon saint Jean. Hysashy Mizuno montre que
« cette prose riche en couleurs et en sonorités se détache
soudainement du récit continu racontant les épisodes de la vie de
Jésus sur la base des versets évangéliques ».(p.76) Il
ajoute que Rimbaud réalise une tentative « pour créer un
monde qui ne serait plus le reflet du monde existant ».(p.82)
L'auteur conclut en écrivant que les Proses
évangéliques sont le « moment de la
création d'une nouvelle langue qui s'imposera dans la poétique en
prose de Rimbaud ». (p.82)
Enfin,
Husashi Mizuno nous fait rentrer dans « Alchimie du verbe »,
cette « salle d'expérimentation » où les vers ne sont
pas là pour prouver la vérité de la prose. Il note pertinemment
qu'un vers de Voyelles
se transforme dans le texte de Rimbaud en une phrase de prose
(p.90), et
il conclut son chapitre en écrivant que « Alchimie du verbe »
est « un creuset de la création de ce nouveau réel avec les
mots qui sont présents dans le texte. C'est la poésie nouvelle
produite par Arthur Rimbaud dans un mélange délicieux de vers et de
la prose ».
S'il fallait
formuler une seule critique on pourrait observer que Hisaschi Mizuno
élude la question de la datation des Illuminations
et le problème de savoir si ces proses sont l'aboutissement de la
poétique de Rimbaud. Mais cette question est probablement évidente
pour le critique japonais, qui cite au début de son livre, la phrase
de Verlaine qu'il a mise en tête de son volume : « Le
poète disparaissait. […] Un prosateur étonnant s'ensuivit ».
Tout, dans son étude, montre que l'auteur sous-entend que les
Illuminations
réalisent l'aboutissement de la poésie de Rimbaud.
L'ouvrage de
Hisashi Mizuno est brillant. Ce n'est pas un livre qu'il faut
seulement lire mais relire et longuement méditer. La qualité d'un
livre critique est d'inspirer le lecteur. C'est le cas de cet
ouvrage, qui stimule la réflexion et qui suscitera probablement des
prolongements. Signalons aussi un appareil critique important :
l'ouvrage fourmille de notes originales.
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