mardi 3 mai 2022

Rimbaud et Abd el-Kader

 


Dans la remarquable exposition du Mucem consacrée à Abd el-Kader une petite notice sur Rimbaud est présentée. Nous la reproduisons en haut de notre blog. 


Comme il est écrit, en juillet 1869, Arthur Rimbaud, âgé de 14 ans, remporte un premier prix de composition latine avec un poème intitulé « Jugurtha ». Rimbaud était en classe de seconde au collège de Charleville. Son professeur était M. Duprez. La composition avait eu lieu précisément le 2 juillet 1869, dans le cadre du concours de vers latins de l’académie de Douai.


C’est seulement en 1932 que le poème « Jugurtha » fut découvert par Jules Mouquet dans le bulletin de l’académie de Douai. Le sujet de la composition était donné par un seul mot : « Abd el-Kader ». 


La question de savoir si le sujet était « Abd el-Kader » ou « Jugurtha » s’est posée. D’abord par Jules Mouquet. Dans sa biographie de Rimbaud Berrichon avait reproduit les souvenirs d’un condisciple de Rimbaud à Charleville l’abbé Morny qui précisait ce sujet de la composition. Jules Mouquet mettait en doute ce témoignage. Cependant cela est confirmé par une lettre de Morny à Berrichon en 1912 qui précise bien que le sujet était « Abd el-Kader ». Jean-Jacques Lefrère dans sa biographie abonde dans ce sens.


Rimbaud avait coiffé son poème d’une épigraphe « La providence fait quelquefois reparaître le même homme à travers plusieurs siècles » Balzac, Lettres



Il ne s’agit pas de Honoré de Balzac mais de Jean-louis Guez de Balzac ( 1595-1654) connu surtout pour ses Lettres. Cependant personne n’a réussi à retrouver cette citation. 


André Guyaux dans la Pléiade fait remarquer que la comparaison entre Jugurtha et Abd el-Kader était devenue un poncif au 19e siècle. En 1847 Jean Joseph François Poujoulat écrivait dans ses Études africaines : « Ainsi, dans le même pays, deux hommes de génie, à de longs âges d’intervalles, auront conquis une immortelle renommée en combattant deux grandes nations ». Cela est confirmé dans un livre en 1866 par Léon Plée qui écrivait: « on a souvent comparé Jugurtha et Abd el-Kader » (page 19). 


Néanmoins si Rimbaud n’a pas inventé le lien entre Jugurtha et Abd el-Kader le texte de son poème est remarquable par la prosopopée. Comme le souligne Guyaux, le poème présente notamment une recherche dans la composition strophique. Il conclut : «  Rimbaud compose un poème non plus comme à l’école mais comme s’il devait le publier. »

Toujours selon André Guyaux « Jugurtha » est une concession à la propagande impériale. Il flatte la France conquérante et pacificatrice. Déjà, il avait en mai 1868 envoyé des vers latins au fils de l’empereur pour sa première communion. Cependant des critiques contestent que Rimbaud ait soutenu l’empire dans sa composition. Rimbaud se serait montré ironique à l’égard de l’empereur. Sur ce débat on peu consulter un long article de Steve Murphy « L’épigraphe comme clin d’œil et la rhétorique profonde de Jugurtha », Parade Sauvage n°25.



Abd el-Kader renvoie aussi Rimbaud à son père. Suite aux recherches du Colonel Godchot on sait que le capitaine Rimbaud était lieutenant en Algérie de juillet 1847 à juin 1850. Il communiquait à ses chefs des informations importantes sur Abd el-Kader.


2 commentaires:

  1. Lorsque Rimbaud rêve son père dans son cahier des dix ans, il le décrit grand, brun, à la peau... noire. Or son père naturel était un petit blond aux yeux bleus, on le sait par les registres militaires (JJ Lefrère indique dans sa bio qu'il n'existe pas de portrait de son père, certes, mais ces traits physiques sont très précisément connus). C'est bien en Algérie que se cache un certain secret de famille, une peau noire, une révolte blanche, que le Colonel Godchot que vous citez ne méritait pas de découvrir. Rappelons que le Colonel Godchot fut un immonde colonialiste, sexiste, homophobe, et calomniateur de la mère et de la soeur de Rimbaud. Cela ne choque pas tout le monde, certes.

    RépondreSupprimer
  2. Je ne sais si ça vous fait pareil : en lisant Guerre : je me dis que ce qui est arrivé aux manuscrits de Céline : ça pourrait bien arriver à l’apprenant A.R.

    RépondreSupprimer