Dans l'avant-propos de son essai intitulé : Si je m'écorchais vif, Laurent Nunez explique : « Comment se fait-il que Barthes n'ai jamais dénoncé le mythe de Rimbaud ? » Il s'agit donc pour lui de « réparer cette erreur » en écrivant un texte apocryphe qu'il écrit à la place de l'auteur de Mythologies et intitulé : « Sur Rimbaud ». Lors d'une présentation de son livre, Laurent Nunez ajoute que Barthes, dont il a presque tout lu, n'a jamais parlé de Rimbaud, ce qu'il trouve « incroyable ».
Tellement incroyable que c'est faux.
À la fin de l'année du centenaire de la naissance de Rimbaud en décembre 1954, Barthes publie dans « Petite mythologie du mois », qu'il fait paraître en feuilleton dans Les lettres nouvelles, un article intitulé : « Phénomène ou mythe ? » qui n'a pas été recueilli dans Mythologies, mais qui se trouve dans le tome V des Œuvres complètes de Barthes (p.1022-1023)
Barthes réagissait à un article du 21 octobre 1954 des Nouvelles littéraires. Étiemble le cite avec éloge dans sa bibliographie de L'année du centenaire.
En voici quelques extraits :
Les Nouvelles littéraires, par exemple, ne peuvent porter qu'au compte d'un canular, (normalien, cela s'entend, c'est l'épithète de nature du canular), le livre d'Étiemble sur le mythe de Rimbaud. Ce n'est qu'une longue mystification, y déclare t-on, car sérieusement, le mythe de Rimbaud est un sujet sans intérêt : « ce qui importe chez Rimbaud c'est son œuvre extraordinaire, et non les interprétations plus ou moins abusives qu'on en a données » […].
Est-il possible de rejeter dans le néant la consommation collective et socialisée de Rimbaud pour ne trouver d'intérêt qu'à sa consommation individuelle et comme inspirée ? […]Mais, le problème n’est pas d’opposer le mythe à sa vérité, comme la maladie à la santé. Seule compte la réalité générale de l’Histoire dans laquelle le mythe prend place ; c’est au nom de cette Histoire que nous devons juger le mythe, et nullement au nom d’une essence de Rimbaud : nous jugeons la nocivité du mythe, non son erreur.[…].
Bien sûr le mythe de Rimbaud n'est pas bien plaisant, il est fait de beaucoup de bêtise, de mauvaise foi et de mensonges. Mais puis-je l'avouer maintenant? J’éprouve infiniment plus de curiosité, plus de « faim », pour le mythe de Rimbaud que pour Rimbaud lui-même. Écouter Rimbaud, absorber Rimbaud, retrouver le vrai Rimbaud, me paraît finalement moins humain que de considérer Rimbaud mangé par les hommes, par ceux de l’Histoire réelle, et non ceux de l’empyrée littéraire. Il serait peut-être temps qu’aux Nouvelles littéraires, on en prît son parti : il n’y a d’autre éternité à la littérature que sa propre mythologie.
Cela suffit à disqualifier Laurent Nunez qui ne s'est pas informé sur son sujet.
L'auteur de « Sur Rimbaud » ne se contente pas d'inventer un texte de Barthes. Il invente aussi des anecdotes inédites. Il imagine Rimbaud vu par sa mère : « Quand la mother l'aperçoit sous la pluie rêche de décembre marchand sur la grand route, sans affaires et les pieds nus ». On savait que Rimbaud avait des « semelles de vent » mais on ignorait que la métaphore de Verlaine était à prendre au pied de la lettre. Ses semelles étaient du vent, donc elles n'existaient pas. Il est vrai que Rimbaud dans Ma Bohême a parlé de ses souliers blessés, on peut donc comprendre qu'il les a enlevés. Autre anecdote inédite : « De retour à Charleville, Rimbaud gémit dans son lit d'enfant. Ses pieds violets se gonflent. Ses yeux s'emplissent de pus, tout son corps part en sueur. Déjà on pense rouvrir le caveau de la famille ».Vision terrifiante, un avant-goût de l'hôpital de Marseille. Notons bien que l'auteur est cohérent : si les pieds du poète sont violets et se gonflent cela est dû à ses terribles randonnées pieds nus. Les biographes disent simplement que Rimbaud s'était remis de sa fièvre typhoïde à Roche et non à Charleville. Poursuivons. Rimbaud pissait « sur les passants du haut de la maison de Verlaine » ; « Au fil des ans, l'idée lui vient, farfelue, loin de la France, de passer son bachot.[…] un mercenaire bachelier c'est très ridicule ». Peu importe que son intention de passer le bachot se passe en 1875 à Charleville, bien avant son départ de France. Peu importe aussi que Nunez invente une lettre d'Isabelle Rimbaud qui aurait écrit à Berrichon : « la bouderie est une marque de maturité ».
On pourrait continuer à enfiler les perles. J'en viens à présent à ce qui me paraît plus important : Laurent Nunez écrit : « Voici le livre, je n'y suis pas. Je ne demande rien que de ne pas être considéré comme l'auteur de ces pages ». Sage précaution qui permet d'écrire en quatrième de couverture : Ce brillant jeu littéraire sur le « je » littéraire nous parle du courage de ne plus considérer son moi comme essentiel et , bien au-delà, de la place de l'écrivain dans la société.
Nunez devrait relire la phrase de Rimbaud qui aurait pu illustrer ce qu'il prétend faire : « Si les vieux imbéciles n'avaient pas trouvé du moi que la signification fausse, nous n'aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini, ont accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s'en clamant les auteurs ! »
Mais, il est vrai qu'il n'est pas l'auteur de son texte...
Cette nouvelle collection chez Grasset s'intitule : Le courage. Il en faut, en effet, du courage pour lire « Sur Rimbaud ». Charles Dantzig, qui dirige la collection, a dit en parlant de l'œuvre de Rimbaud : « ce n'est pas beaucoup plus long à lire qu'un tweet ».
Tout s'explique.
Jacques Bienvenu
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