mardi 18 avril 2023

Arthur Rimbaud vit ! Document inédit. Mis à jour le 11mai.

 





Dans la revue Les Hommes d’aujourd’hui du 17 janvier 1888 Verlaine écrivait qu’on n'avait plus de nouvelles de Rimbaud. La fausse nouvelle de la mort de Rimbaud fut colportée plusieurs fois à partir de 1886. Dans sa notice sur les Illuminations (octobre 1886) Verlaine écrivait : « On l’a dit mort plusieurs fois. Nous ignorons ce détail, mais en serions bien triste » et dans une lettre à Vanier du 24 février 1887 il dit ne pas savoir si son ancien ami est toujours vivant. C’est à la suite de ces rumeurs qu’il composa « Læti et errabundi » achevé en septembre 1887 mais publié le 29 septembre 1888 dans La Cravache. Dans ce poème Verlaine écrivait :

On vous dit mort, vous, que le Diable/ Emporte avec qui la colporte/ la nouvelle irrémédiable/ qui vient ainsi batte ma porte ! 

Je n’y veut rien croire. Mort, vous,/ Toi, dieu parmi les demi-dieux !/ Ceux qui le disent sont des fous ./ Mort mon grand péché radieux/ 


La question de savoir si Rimbaud était vivant en 1888 était donc à l’ordre du jour. 


Le document que nous publions n’a jamais été signalé. Il s’agit du journal Le  Parisien du 22 octobre 1888 qui annonçait triomphalement des nouvelles d’Arthur Rimbaud et qui précisait « Arthur Rimbaud vit ! »

Il publiait pour cela une lettre du vice-consul de France à Aden E. de Gaspary datée du 29 mai  1888 :


Monsieur Rimbaud Arthur est en ce moment au Harrar où il représente diverses maisons de commerce de cette place. J’ignorais que ce monsieur se fut occupé de travaux d’art. Sa santé est parfaite et il a accompli dernièrement avec succès un voyage au Choa.


Signé E.de Gaspari( sic),

Consul de France


Il faudra attendre le 2 novembre 1889 pour que sous la plume de Paul Bourde on donne des nouvelles de Rimbaud au Harrar. Cependant Jean-Jacques Lefrère écrivait dans Rimbaud le disparu que l’information semblait être passée inaperçue.


Verlaine a-t-il connu cette information du Parisien ? C’est très probable, car Le Parisien comme son nom l’indique était connu à Paris. Ses amis à l’époque ont dû l’en informer.


Je remercie Olivier Bivort de m’avoir communiqué ce document.

Mise à jour : Gabriel Mourey était un poète marseillais ami de Mallarmé. Il est très peu connu et mériterait quelques recherches.

Concernant le personnage qui a renseigné Mourey sur Rimbaud, nous avons plusieurs informations : 


  1. La date de la lettre de Gaspary : 29 mai 1888
  2. Il s’agit d’un ami de Gabriel Mourey passionné de littérature et d’art ultramoderne qui s’amuse à recueillir des documents sur ce que l’on est convenu d’appeler le mouvement décadent.( pourquoi Mourey ne donne pas son nom et donne tous ces renseignements?)

3) C’est nécessairement quelqu’un qui savait qu’on avait annoncé la mort de Rimbaud à partir de 1886 : La Vogue 5 juillet 1886, Le symboliste, 7 octobre 1886, Le temps 24 octobre 1886


Fénéon écrit dans le symboliste du 7-14 octobre 1886 :

Un liminaire de M. Paul Verlaine veut renseigner sur Arthur Rimbaud : ce disparu voguerait en Asie, se dédiant à des travaux d’art. Mais les nouvelles sont contradictoires ; elles le dirent marchand de cochons dans l’Aisne, roi de nègres, racoleur pour l’armée néerlandaise de la Sonde. Ce printemps, la Revue des Journaux et des Livres annonçait le « décès » de M. Arthur Rimbaud, poète et agronome. À la même époque, M. Bourget tenait d’Anglais qu’il était mort, récemment, en Afrique, au service de trafiquants d’arachides, d’ivoire, de peaux. Feu Arthur Rimbaud, – le dénomma un sommaire de la Vogue.


On peut donc émettre l’hypothèse que Félix Fénéon est l’ami qui a renseigné Gabriel Mourey.



24 commentaires:

  1. Il y a plusieurs années, je suis tombé sur un document authentique de l'administration française qui atteste qu'en mai 1886 très précisément, Arthur Rimbaud a posé le pied en France métropolitaine. Mai 1886 est également le début de publication des textes d'Illuminations. Si le document administratif est erroné, alors la source de l'erreur ne peut être que la mère de Rimbaud, compte tenu de la nature de ce document. Depuis je m'interroge...

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  2. Certes, la correspondance n'autorise pas cette venue en France , même si à cette période Rimbaud est plutôt en "stand-by" avec sa caravane ; mais la correspondance de Rimbaud pour cette période, recopiée par Isabelle, est curieusement lapidaire ; Rimbaud ne dit presque rien... est-elle authentique (cf. le volume de la correspondance par JJ Lefrère) ? Par ailleurs, en lisant votre article M. Bienvenu, je relis ces mots de Verlaine : « On l’a dit mort plusieurs fois. Nous ignorons ce détail, mais en serions bien triste. » Il m'a toujours semblé que, pour s'exprimer de cette façon aussi désinvolte sur la mort de Rimbaud - il semble plaisanter -, Verlaine devait être sûr qu'il n'en était rien, que Rimbaud était bien vivant. En même temps, peut-on imaginer que Verlaine n'ait pas pris contact avec Rimbaud - ne serait-ce que pour les droits d'auteur - à l'occasion de la publication d'Illuminations ? Verlaine n'était-il pas à deux pas de Roches à cette époque ? Il connaissait parfaitement Mme Rimbaud. Pourquoi Isabelle Rimbaud et Verlaine auraient-ils toujours dissimulé la venue en France de Rimbaud ? Pour répondre à cette question, ceci. Il y a une grande étrangeté dans la correspondance de Rimbaud à propos de son service militaire. On ne comprend pas pourquoi, jusqu'à la fin de sa vie, il a senti une épée de Damoclès au-dessus de sa tête par rapport à son service militaire : n'était-il pas exempté du fait que son frère Frédéric s'était engagé - jusqu'à devenir maton dans un bagne algérien et envoyer en camp de discipline le pauvre Lafont ? mais passons... pour ne pas tourmenter de nouveau les descendants de Frédéric après le panthéon... - ? Les dernières années, Mme Rimbaud mère va même jusqu'à prendre un avocat à Reims, mais on ne connaît pas les détails. Puis Rimbaud indique à sa soeur qu'il lui écrira dorénavant à Vouziers je crois... pour que sa correspondance ne soit pas interceptée à Attigny (vérifier les lieux dans la correspondance, je ne me rappelle plus bien, mais on croit à une paranoïa en lisant la correspondance). Bref, Rimbaud finira par écrire à sa mère quelque chose comme : mais que se passe-t-il ? cela fait 10 ans que vous me dites que l'affaire de mon service militaire est réglée, et aujourd'hui vous m'indiquez qu'il n'en est rien ? La réponse est que, même exempté, Rimbaud avait des périodes d'instruction - quelques semaines tous les deux ans ou à peu près - à faire dès qu'il reposait le pied en France métropolitaine. Mais il était aussi exempté de ces périodes s'il restait à l'étranger - et l'Etat français était bien content de pouvoir compter sur quelques courageux Français qui s'expatriaient pour commercer aux confins de ses colonies, même au-delà pour Rimbaud, donc il n'y avait pas de problème par rapport à celà. Mais il ne fallait pas qu'il reviennent en France, car alors il devait faire ses périodes. Ce serait donc pour être revenu en France, puis être reparti sans faire ses périodes, que Rimbaud aurait pu être tourmenté jusqu'à la fin de sa vie. Rappelons-nous tout de même qu'à cette époque - premier semestre 1886 - Rimbaud avait prévu de revenir en France, il terminait une période d'emploi : il en parle à plusieurs reprises dans sa correspondance, et sa mère l'attend... avant qu'il y renonce, toujours selon cette correspondance - dont je me demande toujours si elle est entièrement authentique (à défaut d'être autographe) pour cette période. Qu'en pensez-vous ? Il serait aussi possible que Madame Rimbaud ait fait la boulette : attendant son garçon en 1886, elle aurait anticipé et indiqué dans un document administratif que son garçon était en France, sans trop penser aux conséquences s'agissant du service militaire dudit garçon... fd

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  3. Je n'ai pas le document sous la main car en déplacement, mais vous le trouverez à l'occasion sans difficulté aux Archives Départementales des Ardennes. Il s'agit du recensement (quinquennal) de Roches pour l'année 1886. De mémoire, le document ne donne pas le mois (Mai). Mais j'ai le souvenir d'avoir déduit le mois en procédant par triangulation des naissances et des deces avec l'etat civil, comme je l'ai fait pour tous les recensements de Charleville. En pratiquant de la sorte, on ne trouve pas nécessairement le mois precis, mais on a une fourchette rétrécie pour la date de passage de l'agent recenseur. Pour Roche 1886, j'ai le souvenir d'être tombé pile sur le mois de plublication des Illuminations : Mai. C'est un agréable souvenir. Mme Rimbaud a-t-elle indiqué son fils Arthur présent au resensement de 1886 car elle lui avait acheté des terres fin 1880 ? A priori non car, d'une part, le recensement ne sert pas à cela du tout, et cette declaration serait une irrégularité formelle au principe du recensement ; d'autre part, elle ne l'a pas mentionné 5 ans plus tôt au recensement de 1881 ni aux recensements annuels des bases électorales - également aux ADA - dans l'intervalle entre 1881 et 1886. Par ailleurs les informations sur Arthur sont scrupuleusement exactes (age...), ce qui est loin d'être le cas pour ses recensements à Charleville quand il était enfant (une certaine année, il y était même recensé comme une petite fille... on se souvient des mots de Rimbaud dans la Saison parlant de lui-même par la bouche de Verlaine : il s'en allait avec des manieres de petite fille au catéchisme...)

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  4. J'ai le document sur mon ordinateur en fait, je vous l'envoie.

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    1. comme toujours les informations que vous nous donnez sont très intéressantes. Cela sera l'objet d'un prochain article.

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  5. Il serait intéressant de savoir qui s'est adressé à Gaspary pour avoir des nouvelles de Rimbaud. C'est un ami de l'auteur de l'article Gabrielle Mourey qui écrivait des pièces de théâtre.Mais comment pourrait-on trouver le nom de cet ami ?

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  6. Il faudrait prendre contact avec les Archives du Ministere des Affaires etrangeres pour retrouver la main courante des courriers reçus/répondus par le Consul. Gaspary figure effectivement dans l'annuaire diplomatique du Ministere pour cette époque, comme consul à Aden. Lesdites Archives mettent de plus en plus de documents en ligne ces dernieres années, mais j'avoue que pour s'y retrouver dans leur arborescence, il faut se lever de bonne heure. Le plus simple est de prendre contact avec eux pour être guidé. fd

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  7. L'auteur de l'article n'est pas Gabrielle Mourey mais Gabriel Mourey. Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Gabriel_Mourey

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  8. "La question de savoir si Rimbaud était vivant en 1888 était donc à l’ordre du jour"
    Bien avant cet article du Parisien d'octobre 88 la Société de Géographie de Paris avait publié dans son Compte Rendu de Séance du 15 juin (n°13 / page 375) une lettre d'Alfred Bardey, membre de cette Société et patron de Rimbaud,
    lequel donnait des nouvelles très précises de son employé:
    "D'Aden, le 4 juin, Mr Bardey écrit:
    Je reçois de Harar, en date du 3 mai, une lettre de A. Rimbeaud (sic) qui me dit: - Je viens d'arriver au Harar, les pluies sont extraordinairement fortes, cette année, et j'ai fait mon voyage par une succession de cyclones, mais les pluies des pays bas vont cesser dans deux mois. etc....- "
    Cette lettre, bien qu'écrite quelques jours après celle de Gaspary, avait apporté des nouvelles précises de Rimbaud
    bien plus tôt au cours de cette année 1888.

    Halin Daniel

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  9. Merci pour cette information. Cette lettre est peu connue mais elle n'est pas inédite. Elle a été signalée dans Barr-Adjam souvenirs d'Alfred Bardey. On peut la lire en entier sur Gallica : lien suivant : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3046997z/f388.item.r=bardey.
    Elle donnait en effet des nouvelles précises de Rimbaud avant l'article du Parisien, mais l'information était bien plus confidentielle que celle du Parisien. La lettre ne semble pas avoir été reproduite dans la correspondance de Rimbaud par Jean-Jacques Lefrère. Il était donc intéressant de la publier sur ce blog.

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  10. Pardonnez-moi mais je pense que c'est l'inverse :
    cette lettre est bien en partie reproduite dans l'ouvrage de JJ Lefrère (p.613, avec la référence du Compte Rendu) mais elle n'est pas mentionnée dans la Bibliographie d'Alfred Bardey (p.L ) de Barr Adjam ; votre mémoire vous a joué un petit tour, ça arrive!
    Merci pour le lien sur Gallica que je connais mais après plusieurs années de recherches j'ai réussi à retrouver en édition originale les 18 volumes (1882-1899) des Comptes Rendus des Séances de la S G .
    Cordialement
    Halin Daniel

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    1. Vous avez raison pour Lefrère. En feuilletant tout à l'heure son livre la petite note 2 m'avait échappé. En revanche je maintiens qu'elle est dans la bibliographie de Bardey, Barr Adjam (2010) p.LIV où il est écrit : 1888 Lettre datée d'Aden, 4 juin 1888, lue à la séance du 15 juin 1888 de la Société de Géographie CRSG. p. 375.
      Mais cela n'a pas une grande importance. Vous avez bien fait de signaler cette lettre. Merci encore pour votre participation.

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  11. "Les voyageurs n'ont pas à rendre leur commission de si tôt !" est sans doute la dernière phrase de l'oeuvre littéraire de Rimbaud, si l'on considère que Solde est le dernier texte d'Illuminations. Il est amusant de constater que dans le sommaire de la revue géographique, il est indiqué dans l'une des livraisons : "Rimbaud, voyageur". Ce simple mot est utilisé à l'époque pour désigner le voyageur de commerce, y compris dans les recensements en France métropolitaine. Daniel pourrait-il nous indiquer d'autres désignations concernant Rimbaud dans les sommaires de cette revue de géographie, puisqu'il a la chance d'avoir la collection complète ? Pour un poète, voyageur convient effectivement mieux qu'explorateur m'a-t-il toujours semblé. Un peu de poésie à Harrar... Moi je daterais bien Solde de 1886, mais c'est sans doute encore un peu audacieux... fd

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    1. Oui, c'est vraiment audacieux. On a toutes les raisons de croire que Rimbaud a cessé d'écrire des poèmes vers 1875.

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  12. Mea culpa, vous avez raison, cette lettre est bien mentionnée dans la bibliographie !

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  13. Revue trimestrielle La Géographie, n° 1519 bis, janvier 2006, actes du colloque du 9 octobre 2004 "Rimbaud géographe ?", avec notamment un long article de Pierre Brunel "Rimbaud et la Société de Géographie" dans lequel il recense cette correspondance

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  14. En réponse à "fd" :
    La totalité des 18 volumes des "Comptes rendus des séances de la Société de géographie et de la Commission centrale 1882-1899 " mise en ligne en avril et mai 2019 est donc consultable sur internet ainsi qu'une "Table analytique des matières" établie par Paul Lémosoff. Je vous donne le lien
    pour "Rimbaud"sur cette table où vous trouverez ces différentes appellations:
    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53108010n/f239.item
    Cordialement
    H D

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  15. Très sympathique cette table analytique. Il y a 2 entrées pour le copain de collège de Rimbaud, Ernest Millot : une sure qui annonce son décès, et l'autre potentielle (Millot E.) qui signale un don important de photographies. Ernest était jeune juge en Algérie ou au Maroc, il est mort jeune, comme un autre condisciple de Rimbaud au collège, le petit Jolly, fils du libraire franc-maçon, ils habitaient tous les deux sur la place Ducale. Millot était donc aussi en relation avec la société de géographie ?

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    1. Pour ces deux entrées il s'agit je pense du même personnage, explorateur mort en 1891, homonyme de l'ami de Rimbaud mort en 1889. H D

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  16. Pour compléter la table analytique on peut consulter sur Gallica les comptes- rendus des séances de la Société de Géographie et de la Commission centrale.

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  17. Votre mise à jour du 11 mai - Effectivement, deux questions se posent : 1. Un Consul est-il autorisé à répondre, en tant que Consul (il indique sa qualité après sa signature, tel que la présente l'article) à quiconque demande des nouvelles d'un ressortissant Français à Aden ? A titre privé, il peut bien dire ce qu'il veut à qui il veut, mais pas en tant que Consul il me semble. Si Rimbaud voulait disparaître en Abyssinie, un Consul n'avait pas à dire où il était sans lui demander. 2. Ensuite, effectivement, pourquoi Mourey ne cite-t-il pas son ami qui s'est adressé au Consul ? La démarche est présentée comme parfaitement bienveillante (se soucier de l'état de santé de quelqu'un), et cela aurait permis à Mourey de remercier Fénéon pour l'information. L'hypothèse Fénéon permettrait de répondre à ces deux questions : il était alors employé par le Ministère de la guerre ; la réponse du Consul serait une réponse du Ministère des affaires étrangères au Ministère de la guerre, qui n'avait pas à être rendue publique. Mourey n'aura pas voulu embarrasser son ami qui aurait usé de ses fonctions/son poste, pour interroger un Consul. Il existe également la piste De Gaspary, sculpteur d'un buste de Verlaine, mais le sculpteur et le Consul ne sont pas apparentés. Au demeurant, le Consul s'appelle Emile Gaspary, et non Emile De Gaspary. fd

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