dimanche 11 juin 2023

Histoire d'un carnet de Rimbaud, partie 1

Collection JB

 Le 20 juin 1922 Paterne Berrichon écrivait au libraire Ronald Davis « je céderais volontiers [ …] un petit carnet contenant de la main d’Arthur Rimbaud, un cours de littérature datant de la 8e année et  de la vie du poète ».

Précisons que 6 jours après, Berrichon publiait la publication des œuvres complètes de Rimbaud aux éditions de la Banderolle qui comportait notamment la révélation de la photographie la plus connue de Rimbaud. Berrichon décédait peu après le 30 juillet. On peut penser que Berrichon n’avait pas voulu publier ce carnet long de 56 pages dans les éditions de La Banderolle, préférant publier un extrait plus intéressant du « Cahier des 10 ans ».


Collection JB

Jules Mouquet qui avait découvert ce carnet demanda à Madame Ronald Davies l’autorisation de le publier sous forme d’article ou d’un livre éventuel. Cependant il ne devait pas publier cet article. Jules Mouquet décédait en 1949. 


Après sa mort Pierre Petifils retrouvait cet article dans ses papiers. Il en communiquait le contenu dans un article intitulé « Le premier sonnet de Rimbaud ? » dans le numéro spécial du centenaire de la revue Bateau Ivre de 1954.

Le contenu est le résumé d’un cours de littérature comportant des exemples de figures de rhétorique.

Pour la figure La Suspension on trouve ce sonnet :


Superbes monuments de l'orgueil des humains,

Pyramides, tombeaux dont la noble structure

Témoigne que l'art par l'adresse des mains

Et l'assidu travail peut vaincre la nature,


Vieux palais ruinés, chef-d’œuvre des Romains,

Et les derniers efforts de leur architecture,

Colysée, où souvent deux peuples inhumains

De s'entre assassiner se donnaient tablature,


Par l'injure des ans vous êtes abolis,

Ou du moins la plupart vous êtes démolis !

Il n'est point de ciment que le temps ne dissoudre.


Si vos marbres si durs ont senti son pouvoir,

Dois-je donc m'étonner qu'un méchant pourpoint noir

Qui m'a duré dix ans, soit percé par le coude ?


Se basant sur le brouillon de Mouquet qui l’attribuait à Rimbaud, Petitfils abonde dans son sens. Cependant c’est une erreur car il s’agit en fait d’un sonnet de Paul Scarron…


Pierre Petitfils vers 1960. DR.


Juste après la publication du Bateau ivre Petitfils reçoit une volée de bois vert de la part des surréalistes menés par André Breton qui se moquent de lui en publiant un tract intitulé: Ça commence bien !


: Messieurs les Critiques, où en est la véritable érudition française ? Le numéro spécial du Bateau Ivre (dépôt à Paris : E d. Messein) consacré au centenaire de Rimbaud a été entièrement rédigé par M. Pierre Petitfils, qu'on put croire naguère un exégète passable. De ces quelques pages, où un vent soufflant des Ardennes a bousculé l'ordre des préséances au point que le “ commerçant ” y tient autant sinon plus de place que “ l'homme de lettres ” (sic), nous ne relèverons pas les diverses énormités : ainsi Rimbaud, vivant portrait de sa mère (p. 14). Il est vrai qu'ici l'iconographie est d'une indigente fantaisie, pour ne pas dire pis, ce qui ne saurait surprendre au souvenir du tableau de Jeff Rosman, véritable inédit celui-là, que M. Petitfils, dans une lettre du 5 avril 1947, déclara être “ incontestablement un faux ”. Ce que devait contredire formellement l'expertise.

Mais notre homme se surpasse d'entrée de jeu : il étudie gravement l'attribution très probable à Rimbaud d'un texte qui serait son premier poème, recopié par lui, ou par quelque peste déjà dévote à sa gloire. “ Il n'y a aucun doute possible, nous sommes en présence d'une composition personnelle d'un écolier d'une douzaine d'années. Tout l'indique... ” Si le manuscrit peut être “ d'Arthur ou de l'une de ses sœurs ” l'esprit qui y règne, “ l'impassibilité déjà parnassienne ”, sont bien d'un garçon :


[citation du poème]


Le malheur est qu'il s'agit d'un sonnet presque célèbre... de Paul Scarron (1610-1660).

Cette pièce figure en bonne place, non seulement dans les Œuvres (choisies) de Scarron, réimprimées par M. Ch. Bausset en 1877 sur l'édition de 1663 (T. I, p. 80), mais dans l'Anthologie poétique française (XVIIe siècle) de M. Maurice Allem (Paris, Garnier, 1916, T. II, p. 84). Elle est si connue que le grand Larousse Universel du XIXe siècle la reproduit (s.v. Sonnet) à titre de “ curiosité du genre ”. D'après ces versions concordantes, signalons que l'erreur de copie au troisième vers consiste à avoir écrit témoigne au lieu de a témoigné. Au onzième vers, la faute de français qui “ ahurit ” M. Petitfils n'est pas un “ tâtonnement ” mais la transcription maladroite d'un archaïsme. Scarron écrivait : Il n'est point de ciment que le temps ne dissoude (sans r). “ La conjugaison de ce verbe est difficile ” avoue Littré, qui cite ce vers comme exemple, et y ajoute, d'après Ambroise Paré, dissoudant en participe présent : hésitations dues à la similitude des formes latines du subjonctif présent et du futur (je dissoudrai).

On ne peut que regretter la manière dont la mémoire de M. Jules Mouquet est mêlée à cette espièglerie. M. Petitfils s'abrite derrière un brouillon que celui-ci n'aurait pas eu “ l'audace ” (?) ou “ le temps ” de publier. S'il n'a pas le temps de feuilleter un dictionnaire, M. Petitfils par contre ne manque pas d'effronterie. Il découvrirait demain un Rimbaud-Turoldus ou un Rimbaud-Casimir Delavigne que nous n'en serions pas autrement saisis. Au fait, qu'en pensent MM. les membres du Comité de Patronage des fêtes de Charleville, et tout particulièrement M. Georges Duhamel, président des “ Amis (sic) de Rimbaud ”, dont le Bateau Ivre est en principe le bulletin de liaison ? Qu'en pensent les membres du Comité d'Action, parmi lesquels figure M. Pierre Petitfils - on aimerait savoir à quel titre ? Sans doute par voie d'héritage, comme le prouve cette dédicace à son Œuvre et visage d'Arthur Rimbaud :

“ A la mémoire de M. Elysée Petitfils, architecte de la ville de Charleville, auteur du socle du monument élevé à Rimbaud, Square de la Gare, son descendant dédie cet autre monument à la gloire du poète. ”

Et maintenant, bon voyage !

Pour le mouvement surréaliste : Jean-Louis Bédouin, Robert Benayoun, André Breton, Adrien Dax, Charles Flamand, Georges Goldfayn, Simon Hantaï, Alain Lebreton, Gérard Legrand, Nora Mitrani, Wolfgang Paalen, Benjamin Péret, José Pierre, Judith Reigl, Jean Schuster, Anne Seghers, Toyen, François Valorbe.

Pour l'internationale lettriste : Michèle Bernstein, Mohamed Dahou, Guy-Ernest Debord, Jacques Fillon, Gil J Wolman.

[Septembre 1954.] 


Fin de la première partie

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