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Catulle Mendès. DR. |
Catulle Mendès fut un témoin de Rimbaud, mais il n’a jamais apprécié le poète et ceci dès le début. Nous savons par Verlaine qu’il ne partageait pas l’enthousiasme pour le jeune prodige, il écrivait le 1er décembre 1895 dans Les beaux arts : « Les grands Parnassiens (Coppée, Mendès, Heredia) n’admirèrent que mal ou pas du tout le phénomène nouveau. »
On est certain que Rimbaud et Mendès se sont rencontrés le 15 novembre 1871 à la représentation du Bois de Glatigny à l’Odéon. Edmond Lepelletier en avait donné un compte rendu le lendemain dans Le Peuple souverain : « Tout le Parnasse était au complet, circulant et devisant au foyer, sous l’œil de leur éditeur Alphonse Lemerre. On remarquait ça et là le blond Catulle Mendès donnant le bras au flave Mérat. Léon Valade, Dierx, Henri Houssaye causaient ça et là. Le poète saturnien Paul Verlaine donnait le bras à une charmante jeune personne, Mlle Rimbaut(sic). » On ne sait pas si Rimbaud a pu à cette occasion parler à Mendès.
Notre poète n’avait pas a priori d’animosité à l’égard de Mendès. Dans sa lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871 il citera Mendès comme représentant des « fantaisistes » ce qui laisse entendre qu’il avait probablement connaissance de la Revue fantaisiste dont Mendès était le fondateur en 1861. Dans cette revue des articles très importants de Baudelaire, Banville et Gautier avaient été publiés. Rimbaud a su aussi que Mendès avait créé en 1866 avec Louis Xavier de Ricard la revue Le parnasse contemporain.
Le 15 juin 1872, Rimbaud pouvait lire dans La Renaissance littéraire et artistique trois poèmes de Mendès. Nous ne savons pas ce que Rimbaud a pu en penser.
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Les trois poèmes de Mendès dans La Renaissance |
La femme de Mendès, Judith, était la fille de Théophile Gautier. Elle avait aussi écrit dans La Renaissance littéraire et artistique des poèmes en prose dont la forme semble avoir inspiré Rimbaud. Pour la petite histoire Gautier qui n’aimait pas son gendre l’avait surnommé « crapule m’embête ».
Dans son Rapport à M. le ministre de l'Instruction publique et des beaux-arts sur le mouvement poétique français de 1867 à 1900, Mendès minimise l’influence de Rimbaud avec un parti pris de dénigrements comme le montrent des extraits de ce rapport :
Pour ce qui est d'Arthur Rimbaud, bien loin d'avoir rien innové du tout, il fut, non sans intensité d'ailleurs, avec quelque chaude violence, un exaspéré Romantique attardé (…)
je pense au Bateau ivre, on n'y peut pas même voir une allégorie; ce n'est qu'une figure de rhétorique, démesurée.(…)
je songe aux Effarés, aux Pauvres à l'église, aux Premières communions, Chercheuses de poux), l'intention symbolique d’Arthur Rimbaud paraît bien improbable. La vérité, c'est que, le plus souvent. il s'efforce à l'expression excessive, mais directe, de ce qu'il éprouve. de ce qu'il imagine, de ce qu'il voit. Et, romantique, — le Sonnet sur la couleur des voyelles n'a rien qui me contredise, — il l'est quant à la forme aussi. Son vers, à la rime riche et qui veut être rare, son vers rude, cassant, cassé, cacophonique, (chaque strophe faisant l'effet d'un panier plein de tessons de bouteilles)(…)Arthur Rimbaud ne semblera guère dans l'avenir, je pense, qu'un Petrus Borel naturaliste.
Catulle Mendès a joué un grand rôle pour la poésie de son temps. Il a laissé un nombre considérable d’écrits mais la postérité l’a complètement oublié. Dommage .
Mise à jour du 8 septembre : Anré Guyaux "Rimbaud au crépuscule de ses 20 ans"
Très amusant : "Arthur Rimbaud ne semblera guère à l'avenir, je pense, qu'un Petrus Borel naturaliste"... les 2 relevés par les surréalistes précisément. Très intéressant : en fait, quand Catulle Mendès écrit à l'Instruction publique que Rimbaud est un "romantique attardé" qui n'est "pas symboliste/symbolique", on se trouve très exactement où les universitaires paraissent être arrivés en ce premier quart du XXIe... Un constat cruel : tout ça pour ça ? Toutefois, quand Mendès dit que Rimbaud n'est pas symboliste/symbolique, il faut savoir d'où il parle : il se considère sans doute, étant Franc-maçon, comme un expert en symbolisme. Mais je lis qu'il s'est fait exclure d'une loge parisienne pour non paiement de sa cotisation, et je me souviens de ces mots de Jules Andrieu : "Je ne suis pas Franc-maçon", "la Franc-maçonnerie [du temps de Rimbaud] a perdu son symbole" (dernière page de Philosophie et morale). Ouf ! fd
RépondreSupprimerSur Pétrus Borel, on peu consulter le remarquable article d'Aurélia Cervoni dans la revue électronique Tropics Numéro 14.
SupprimerSur Jules Andrieu, voir la communication d'André Guyaux dans notre mise à jour du 8 septembre.
RépondreSupprimerL'expression de "communard embourgeoisé" pour décrire Andrieu - afin de l'opposer à un Rimbaud révolté resté communard -, utilisée par Guyaux, n'est sans doute pas à retenir si l'on veut bien se figurer la personne de Jules Andrieu. Chef du personnel à l'Hôtel de ville sous la Commune, il est exfiltré avec femme et enfant(s) de Paris par un réseau Franc-maçon, expérience de vie très dure (cf. correspondance de remerciement d'Andrieu dans le dossier de la famille). Il gagne sa vie en donnant des cours de Français à des fils de famille certes, mais on ne peut pas lui reprocher : les familles qui se nourrissaient chez les fruitiers à Londres ne prenaient pas de cours de Français ! Condamné par contumace à la déportation en enceinte fortifiée, exactement comme Verlaine. C'est peut-être le même réseau Franc-maçon qui avertit Verlaine qu'une instruction est ouverte contre lui, deux jours avant qu'il ne s'enfuit de Paris avec Rimbaud. Malheureusement le courrier d'Andrieu ne cite pas le FM en question, mais c'est pour le protéger. Un parcours identique vingt ans plus tôt pour un poursuivi du coup d'Etat de Napoléon le petit : celui d'un gamin des Ardennes, comme Rimbaud, jeune séminariste pauvre comme Julien Sorel, vingt ans, furieusement républicain, qui sera un temps très jeune secrétaire de Lammenais à Paris, puis s'exilera à Londres par la Belgique, définitivement : Charles Adolphe Chardenal. Il écrira un ouvrage qui sera un best-seller outre-manche jusqu'au milieu de XXe : l'apprentissage du Français par les anglophones ; il sera comblé d'honneurs en Angleterre et vivra dans une certaine aisance après avoir vécu misérablement et persécuté en France, un autre "embourgeoisé" dirait Guyaux... / Le père d'Andrieu était un éminent linguiste, qui donnait des conférence au Collège de France ; il serait intéressant... de s'y intéresser.
RépondreSupprimerMerci pour ce message. Charles Adolphe Chardenal mérite d'être mis en lumière.Rimbaud a peut être lu ses ouvrages.
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