vendredi 12 décembre 2025

Le mot Illuminations au bas du manuscrit de Promontoire est-il de Rimbaud ?

 

DR. AR 280/54, Fonds Rimbaud, Musée Arthur Rimbaud,
Charleville-Mézières

L’objet de cet article est de montrer que le mot Illuminations au bas du manuscrit de Promontoire est de Rimbaud

Dans le dictionnaire Rimbaud de la collection Bouquins André Guyaux explique  bien le problème : « Une incertitude s’attache également au titre sous lequel les poèmes en prose de Rimbaud sont connus et publiés. Sauf peut-être sur l’autographe de Promontoire, où il apparaît au bas du texte et dans le coin supérieur gauche du feuillet, tracé d’une ou de deux mains que l’on n’a pas jusqu’ici formellement identifiées. Le mot Illuminations ne figure sur aucun manuscrit de Rimbaud. C’est Verlaine qui nous a transmis ce titre. » (p.330 )


Cependant dans la Pléiade, André Guyaux est moins nuancé. Il écrit que le mot « Illuminations » en bas du feuillet est clairement donné comme allographe tandis que les initiales A.R. sont désignées comme probablement autographes (p.974).

Dans le dictionnaire Rimbaud des Classiques Garnier, Michel Murat mentionne que le mot Illuminations est allographe ( p.358) probablement en se rangeant à l’avis  de la Pléiade d’André Guyaux.


Si l’on considère les deux Pléiades qui ont précédé, on peut être surpris par leur analyse du mot Illuminations dans Promontoire. Ainsi dans la Pléiade de Roland de Rénéville et de Jules Mouquet il est écrit ( p.719) : «  Seul le feuillet manuscrit de la pièce Promontoire porte entre parenthèses la mention Illuminations.Toutefois cette mention n’est pas de la main de Rimbaud mais de celle de Paterne Berrichon comme l’a établi M. Pierre Petitfils. »


En réalité Pierre Petitfils n’a rien prouvé du tout. Dans sa note 1 page 74 de son étude sur les manuscrits de Rimbaud (études rimbaldiennes, 1969) il écrit que « Rimbaud à notre connaissance n’a jamais écrit le mot Illuminations. Il figure bien au bas du manuscrit de Promontoire, mais il a été ajouté par (Paterne Berrichon ?) » Le point d’interrogation montre bien la limite de la démonstration.


Dans l’édition de la Pléiade d’Antoine Adam, celui-ci précise que le mot Illuminations est de Verlaine sans aucune justification (P.1011).


On est donc reconnaissant à André Guyaux d’avoir clarifié la situation. D’ailleurs, il avait déjà donné son sentiment sur cette question en écrivant dans sa Poétique du fragment p. 147 « Et, avec la réserve qu’il n’est pas exclu qu’ils soient autographes, le titre Illuminations et les initiales A.R., au bas de  Promontoire »


Bouillane de Lacoste dans son livre Rimbaud et le problème des Illuminations avait étudié longuement le manuscrit de Promontoire. Il commençait par affirmer que ce manuscrit n’était pas un brouillon « car Rimbaud a mis au bas ses initiales ». Donc il identifiait les initiales A.R. dont il étudiait la forme du R comme étant de Rimbaud ( P.160-162). Toutefois curieusement il négligeait d’identifier l’auteur du mot Illuminations au bas du manuscrit. Il est temps à présent de tenter de résoudre l’énigme de l’auteur de ce mot.



Considérons d’abord  la mention en haut à gauche sur laquelle on peut lire : « Illuminations page 34 légères modifications » écrit d’une encre plus claire que celle du manuscrit. On peut l’expliquer facilement comme je l’ai fait dans mon article de 2013. La page 34 fait référence à celle de l’édition Vanier de 1892 ou figure le poème Promontoire.

DR. Gallica. Édition Vanier 1892

On sait qu’après avoir été (mal) utilisé par La Vogue ce manuscrit est passé aux mains de Vanier. Toutefois celui-ci a reproduit à l’identique la version fautive de La Vogue. C’est pour cette  raison qu’il y a écrit légères modifications. On peut supposer que c’est Vanier lui même qui a écrit la mention. Il s’est montré un peu léger d’écrire légères modifications car il aurait évité des erreurs en utilisant le manuscrit. Remarquons qu’il peut y avoir une confusion avec la page du fac-similé de La Vogue où il est écrit page 34. Mais la référence à cette page n’aurait aucun sens dans tous les cas. Un prote de La Vogue n’avait aucune raison d’écrire cela sur le manuscrit et Vanier non plus. 


Alain Tourneux le conservateur honoraire du Musée Rimbaud a bien voulu accéder à ma demande d’examiner le manuscrit de Promontoire. Il ressort de cet examen un élément capital : les lettres A.R. et le mot Illuminations en bas du manuscrit sont écrits avec une encre brune plus claire que celle du manuscrit. 

Dès lors, on ne voit pas pour quelle raison A.R. qui est de Rimbaud et Illuminations qui est de la même encre à côté de A.R. ne serait pas de Rimbaud.


En conclusion, on peut dire que rien ne contredit le fait que le mot Illuminations en bas à droite ne soit pas de l’écriture de Rimbaud. D’autre part, grâce à notre photographie du manuscrit envoyée par Alain Tourneux, en accord avec la médiathèque Voyelles, on peut voir que la mention en bas à droite n’est pas de la même encre que celle en haut à gauche si bien que l’on peut dire à présent que les deux mains dont parlait André Guyaux au début de mon article ont été identifiées.


Dans l’intéressante publication : Arthur Rimbaud, Les illuminations [manuscrits], Préface de Steve Murphy, Conception d’Alain Bardel & Alain Oriol,Toulouse, 2025 ; le manuscrit de Promontoire reproduit page 67 ne permet pas de voir que les initiales A.R. et le mot  Illuminations ne sont pas de la même encre que celui du texte. C’est peut-être pour cette raison que les auteurs ainsi que Steve Murphy n’ont pas étudié l’attribution du mot Illuminations à Rimbaud.


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