dimanche 26 janvier 2014

Les mystères d’une écriture, première partie : rencontre à Aix-en-Provence, par Jacques Bienvenu.




Lorsque j’ai observé la curieuse graphie de l’écriture du manuscrit de Verlaine concernant le poème La Grâce ( voir les deux articles qui précèdent), j’eus l’idée de demander à Yves Jacq de me venir en aide. Grand spécialiste du groupe des Vivants : Richepin, Ponchon, Bouchor, il côtoie aussi les écrivains qui gravitent autour de ces poètes et bien sûr Verlaine. Surtout, il connaît admirablement les écritures ayant collationné des milliers de lettres au cours de ses années de recherches. Rendez-vous fut pris à Aix-en- Provence, et nous voilà donc, après avoir déjeuné sur le Cours Mirabeau, en direction de la bibliothèque Méjanes pour examiner le dossier. Manque de chance elle était fermée. Il pleuvait, il faisait froid, on cherchait un café peu bruyant aux alentours. Finalement, c’est à l’extérieur d’un bistro, sous un auvent qu’on s’installa malgré les intempéries. Rien ne peut décourager des chercheurs fanatiques et c’est sur une table à peine abritée que je sortais les photocopies des feuillets du manuscrit de La Grâce et de celui des Vieux Coppées

Ce fut vraiment un bon moment de philologie ! Avec nos crayons on soulignait tout ce qui nous paraissait curieux. Yves Jacq observait des accents circonflexes qui manquaient là où il en fallait et d’autres placés par erreur. Très finement, il me faisait remarquer que le mot « Hablant » écrit « Hâblant » ne portait pas d’accent car il venait de l’espagnol Hablar qui n’en prend pas et il me rappelait que Verlaine connaissait bien l’espagnol. On notait que le mot  « Hélas » barré en début de vers revenait dix lignes plus loin en début de vers aussi. C’était bizarre. Le mot « laisse » barré qui n’aurait pas rimé nous intriguait. Tout y est passé jusqu’au point d’orgue : l’invraisemblable mot à la rime que j’observais : « dia reste » au lieu de « diable ». C’est à ce moment que nous eûmes la conviction que c’était une copie peut-être dictée par Verlaine à une autre personne.

Néanmoins, il fallait absolument faire toutes les vérifications. Je n’hésitais pas à me rendre à la bibliothèque Doucet pour observer une grande quantité de manuscrits de Verlaine en particulier ceux qui provenaient de la vente Jean Hugues. Je profitais de mon voyage à Paris pour acheter chez un bouquiniste Sagesse dans la collection des Manuscrits des Maîtres. Ernest Delahaye y analysait l’écriture de Verlaine et  notait : 

« L’auteur de Sagesse a l’écriture liée, il lui arrive de tracer deux et même trois mots sans lever la plume […] ». On est loin de l’écriture scripte, jamais mentionnée.

Puis, coup de théâtre, Yves Jacq m’informait qu’il avait identifié de manière formelle et sans aucun doute possible l’écriture du manuscrit, recourant même au logiciel Photoshop pour faire des superpositions de mots ! Chose étrange, Il se trouve que cette solution apportée pose des problèmes que nous ne savons pas résoudre encore !

À suivre…

Mise à jour du 30/01/2014 suite à un commentaire de GP du même jour mais que le blog a mal placé car il devrait figurer à la suite du dernier commentaire, ce qui n'est pas le cas. Voir ma réponse à ce message.

© Seghers 1975
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6 commentaires:

  1. quand on dit qu'il n'y a pas d'autre écriture "scripte" chez Verlaine, c'est faux: voyez le manuscrit de "Faut hurler avec les loups". Vous y trouverez les deux écritures ensemble, la "scripte" et la cursive, et même un dessin de l'auteur, le tout envoyé de prison à Lepelletier.

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    1. Merci pour cette remarque très pertinente que j’espérais. Pour écrire cela il faut bien connaître Verlaine et je vous félicite. La lettre à laquelle vous faites allusion comporte en effet le poème « Faut hurler avec les loups » écrit aussi en écriture scripte. Cette lettre se trouve à la bibliothèque Doucet et je l’ai consultée avec d’autres lettres écrites à Lepelletier qui mélangent certains passages avec écriture cursive et scripte. J’en profite d’ailleurs pour remercier les conservateurs de la bibliothèque Doucet qui ont été d’une très grande amabilité et qui m’ont permis de consulter l’ensemble des lettres à Lepelletier notamment. Je n’ai jamais écrit, si vous voulez bien me relire qu’il n’y avait pas d’autres exemples d’écritures scripte. Mais ne trouvez vous pas curieux que cette écriture scripte n’apparaisse qu’en prison ?

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    2. Pour compléter votre dossier, jetez donc un oeil sur les pages 138-139 du Verlaine de Jean Richer (Paris, Seghers, "poètes d'aujourd'hui", tirage 1989 et successifs)

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    3. Merci beaucoup pour votre message et votre participation très intéressante. Je m’empresse de vous répondre et je mets en ligne, en mise à jour sur l’article, les pages que vous avez bien voulu me signaler. Ces fac-similés semblent confirmer que cette écriture ne correspond pas à celle du manuscrit de La Grâce.

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  2. Les erreurs sont davantage celles d'une copie que d'une dictée.

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    1. En effet, les erreurs semblent être celles d'un mauvais copiste. Votre remarque est fondée.

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