On sait que Bouillane
de Lacoste a pu prouver que les manuscrits des Illuminations datent de 1874 et
qu’ils correspondent au moment où Rimbaud et Germain Nouveau se retrouvent
ensemble à Paris puis à Londres au printemps de cette année 1874. L’écriture de
Germain Nouveau apparaît sur certains poèmes en prose. Bouillane en avait
déduit que toutes les Illuminations
étaient postérieures à Une Saison en enfer. Mais, on a tout de
suite objecté à cette thèse que les poèmes transcrits à cette date par Rimbaud
n’étaient qu’une mise au net et que
ceux-ci pouvaient avoir été écrits bien avant. Le mystère demeure toujours sur
cette question chronologique.
Les arguments
graphologiques semblant épuisés, on peut tenter de mettre en œuvre des procédés
récents, bien connus à présent, pour trouver des intertextes rimbaldiens parmi
des millions d’ouvrages. Encore faut-il mener à bien ces recherches et posséder
quelques connaissances. L’idée présente consiste à rechercher des associations
de mots rares qui abondent chez Rimbaud. En général on ne les trouvera pas
ailleurs. Néanmoins, on peut observer par exemple que les « fleurs arctiques » existent, contrairement à ce que dit Rimbaud, dans plusieurs
ouvrages dont l’un date de 1872 (Le Tour
du monde).
Dans le poème « Jeunesse
I » on trouve l’expression
rarissime : « peste carbonique ». Alliance de mot typiquement
rimbaldienne et qui n’a rien pour nous surprendre de sa part. On a suggéré que cet
oxymore pourrait désigner le smog londonien, ce qui est possible. Les prospections
dans les moteurs de recherches classiques d’internet ne donnent que l’exemple
de Rimbaud pour « peste carbonique ». Seul Gallica réserve une surprise[1]
que je vais exposer. On y trouve deux occurrences dans le journal Le
Temps :
D’abord dans Le Temps du 9 mars 1874 :
Puis une semaine après,
le 16 mars 1874, on peut lire :
Il s’agissait évidemment d’une coquille qui a été signalée, en bas de
page, assez visiblement.
Cette coïncidence
mérite d’être soulignée pour plusieurs raisons.
La première est qu’il
est attesté que Rimbaud est à Paris à cette date. Une lettre de Germain Nouveau
écrite précipitamment de Londres le 26 novembre le montre. Rimbaud a donc pu matériellement
lire ce journal bien diffusé à Paris. Il a pu le lire dans un café où chez des
amis qu’il fréquentait encore comme Richepin ou Forain et bien sûr Germain
Nouveau.
La seconde raison est
que cette date correspond exactement au moment où Rimbaud va reprendre, voire
composer - toute la question est là - ses poèmes en prose en compagnie de
Germain Nouveau.
Peut-on alors émettre l’hypothèse que Rimbaud a pu relever cette expression : « peste
carbonique » en feuilletant le journal et utiliser cette coquille pour son poème ?
On aurait alors un indice qui permettrait de dater « Jeunesse I » d’une date postérieure au 16 mars 1874. Bien
sûr, il ne s’agit pas d’une preuve, mais de montrer par quels moyens nouveaux on
pourrait progresser dans la datation des Illuminations.
D’autres « horribles travailleurs » trouveront peut-être mieux,
souhaitons-le.
Je rappelle qu’à cette date de mars 1874 deux
évènements littéraires coïncident : la publication du premier exemplaire
de La Revue du Monde nouveau [2] à
laquelle participe Germain Nouveau pour la livraison du premier avril et la
publication du livre de Maurice Bouchor Les Chansons joyeuses dont j’ai déjà parlé. J’ajoute, pour faire un lien avec l’article précédent,
que c’est aussi à cette date que Rimbaud a pu communiquer le poème Poison perdu notamment à Forain et
Germain Nouveau.
[1] Une autre occurrence existe en
1824, mais il y a peu de chance que Rimbaud y ait eu accès.
[2] Une occasion ratée pour Rimbaud de
publier dans cette revue un poème en prose. Peut-être à cause du rédacteur en
chef Charles Cros qui était fâché avec Rimbaud d’après Gustave Kahn.
Ce n’est pas une preuve mais c’est crédible. En revanche il n’est pas sûr que Forain soit à Paris à cette date.
RépondreSupprimerNouveau écrit dans sa lettre du 26 mars à Richepin : « Si Forain a encore du temps à dépenser avant son casernement, qu’il tâche de venir. » Donc Forain est encore à Paris à cette date. Il partira faire son service militaire au mois d’avril.
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerPouvez-vous préciser la référence que vous donnez pour "fleurs arctiques"
J-L G
"Le Tour du monde" tome 23, p.30. J'ai rajouté un lien dans l'article.
RépondreSupprimerCher Monsieur Bienvenu,
RépondreSupprimerEn espérant apporter une piste à votre article :
http://germainnouveau.wordpress.com/2014/10/20/peste-carbonique/
C'est prodigieusement intéressant. Merci beaucoup pour cette information. Il s'agit pour l'instant d'une réaction immédiate à votre message.
RépondreSupprimerL'un des pseudo de GN était, sauf erreur, « duc de Mésopotamie ».Si c'est Nouveau qui a lu l'article rien ne s'oppose à ce qu'il en ai parlé à Rimbaud. Vous donnez à mon hypothèse de l'origine de l'expression « peste carbonique » un soutien que je n'avais pas prévu et je trouve cet échange entre chercheurs très positif.
RépondreSupprimerJacques Bienvenu
Je rectifie : "Duc de la Mésopotamie" pour le pseudo de Nouveau.
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