On ne sait rien de ce
que Rimbaud a fait à Paris en 1874 avant de partir à Londres avec Germain
Nouveau. On nous dit souvent que, revenu à Paris après le drame de Bruxelles,
Rimbaud aurait été traité comme un
indésirable. En réalité, il avait encore
quelques amis sûrs. Forain, d’abord, chez qui il logeait probablement rue Saint-Jacques ;
Mercier et le musicien Cabaner qui le revirent en 1875 ; Richepin qui
publia des souvenirs tardifs sur le poète en 1927 ; Raoul Ponchon qui avait reçu un exemplaire d’Une saison en enfer ; Germain Nouveau
qui n’hésita pas à partir avec lui vers le 20 mars. Que s’est-il passé avant
cette date à Paris ? Nul ne le sait. Tentons cependant de formuler des
hypothèses.
En feuilletant la
presse de cette période de mars 74, on peut être attiré par l’annonce de
soirées musicales et littéraires organisées par un certain Charles Boissière. Celui-ci avait écrit un petit opuscule
intitulé « Éloge de l’ennui » dédié ironiquement à l’Académie
Française. Le journal L’Orchestre, qui avait pour directeur Ludovic
Hans (pseudonyme d’Armand Silvestre), donnait le programme de la soirée du 15 mars :
On voit que le premier
morceau musical s’intitule Romance sans
paroles de Mendelssohn. Par une sorte de coïncidence c’est à cette date que
l’ouvrage que Verlaine voulait dédier à Rimbaud venait d’être imprimé à
Sens. Le recueil des Romances sans
paroles passera totalement inaperçu.
Cependant, si Rimbaud a vu ce titre, il
a dû sursauter. Le morceau Romance sans
paroles était interprété, notamment, par une certaine « Madame
Poitelon ». Autre coïncidence, ce nom très rare figure sur un tableau de
Forain dont il faut rappeler l’histoire.
Dans Le Figaro
littéraire du 21 juin 1952 on reproduisait pour la première fois un
portrait exécuté par Forain portant la mention « mai 1874, à
mon ami Poitelan ». Cette peinture était révélée comme un portrait présumé
d’Artur Rimbaud. Peu de temps après, cette peinture fut présentée à l’exposition
Forain de la BNF pour le centenaire de la naissance du peintre né en 1852.On y donnait
le nom de « Poitelan » suivi d'un point d'interrogation.
En fait, il ne faut pas lire
« Poitelan » mais « Poitelon » comme l’a justement
indiqué, pour la première fois, Jean-Jacques Lefrère (Face à Rimbaud, p. 174).
Détail du portait reproduit dans le catalogue du musée d'Orsay,1991 |
Donc, en mai 1874
Forain dédie un portrait à un certain Poitelon jamais identifié. Le fait de trouver ce nom imprimé en 1874 est
un petit indice car ce patronyme n’était pas
courant. Madame Poitelon était pianiste et on apprend, par ailleurs, qu’elle était jeune. Elle pouvait faire
partie du milieu artiste que fréquentait Forain à l’époque et être apparentée à
un ami du peintre. Elle participe à ces soirées musicales et littéraires en
janvier, février et mars 1874. Observons que le 39 Bd des Capucines se
situait à côté de l’atelier de Nadar au numéro 35 du Bd des Capucines, endroit
célèbre car les futurs peintres impressionnistes avaient loué cette maison pour
leur fameuse exposition du 15 avril 1874. On sait que Forain connaissait tous
ces peintres et notamment Degas qui fut l’un des organisateurs. Voici une
photographie célèbre de l’atelier de Nadar, on distingue à droite le N°37.
C’est à côté que les conférences avaient lieu.
La salle du 39 Bd des Capucines était connue des poètes et des
artistes. Ainsi, Charles Cros y donnera deux conférences en juillet 1873 respectivement
le 9 et le 11 juillet. L’auteur du
Coffret de santal ignorait qu’entre ces deux conférences Rimbaud recevrait
le 10 juillet un coup de révolver à Bruxelles.
Charles Cros récidivera en
donnant une conférence dans cette même salle, le 12 décembre 1874, annoncée un jour trop tard dans Le Tintamarre dont le directeur et rédacteur en chef était
mon arrière grand - oncle. Si Rimbaud est passé à Paris à cette date, il a dû
éviter la conférence de Cros. C’était trop dangereux pour lui.
Pour conclure, il n’est pas impossible que Rimbaud soit allé aux
soirées musicales et littéraires du Bd des capucines en 1874, peut-être en
compagnie de Forain et de l’ami Poitelon qui allait voir jouer sa parente.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire