lundi 1 décembre 2014

Le Rimbaud nouveau, par Jacques Bienvenu







Dans la première partie de son livre : Du Nouveau chez Rimbaud, Eddie Breuil rappelant les incertitudes de la transmission des manuscrits des Illuminations reproduit un extrait de la lettre de Verlaine adressée à Delahaye envoyée deux mois après l'entrevue de Stuttgart :

Si je tiens à avoir détails sur Nouveau, voilà pourquoi. Rimbaud m'ayant prié d'envoyer pour être imprimés des « poèmes en prose » siens, que j'avais ; à ce même Nouveau, alors à Bruxelles ( je parle d'il y a deux mois), j'ai envoyé ( 2fr.75 de port !!!) illico... 

Eddie Breuil interprète ce passage en estimant possible : « que par  poèmes en prose  siens, Verlaine n'ait pas fait allusion à des poèmes de Rimbaud mais à ceux de Germain Nouveau. En effet, la tournure de la phrase dans laquelle « siens » est lu comme une référence à Rimbaud est ambigüe : Nouveau et Rimbaud ayant été évoqués précédemment [...]1 ».

Je laisse à Eddie Breuil cette interprétation d'une phrase de Verlaine dans laquelle Je ne vois rien d'ambigu. « siens » se rapporte naturellement à Rimbaud dont le nom est mentionné au début de la phrase. Verlaine connaissait les règles de la syntaxe.

Concernant les « 2fr.75 de port », il signale que j'avais donné un poids approximatif situé entre 70 et 90 gr dans mon article du Magazine littéraire intitulé « Les poids des Illuminations ». J'avais montré que cela correspondait dans tous les cas (envoi recommandé ou non) à la totalité des feuillets des poèmes en prose. Eddie Breuil fait un tout autre calcul. Il considère que l'hypothèse la plus élevée de 90 grammes (il précise 91,66 (!) grammes d'après une autre source) ne peut excéder dix-huit feuillets au format A4 au grammage de 80. Un feuillet au format A4 pèse 5gr et 18 x 5 = 90. Je ne comprends pas ce que viennent faire des feuillets de format A4 ( 21x29,7cm) pour les manuscrits des Illuminations. Je n'avais pu détailler mes calculs dans mon article mais observons par exemple que le feuillet que donnent en premier les éditeurs Après le Déluge mesure 117x112mm pour un grammage de 80. Ce qui donne un poids de 1gr. La plupart des autres feuillets mesurent environ 20cm sur 13cm pour un grammage de 60. Ce qui donne dans ce cas 1,56 gr. On est loin des 5gr d'un feuillet A4. Il en résulte évidemment une erreur d'Eddie Breuil sur le nombre possible de feuillets contenus dans le paquet de Verlaine et son interprétation.

En revanche, je pense qu' Eddie Breuil a raison quand il conteste la pagination admise des feuillets des Illuminations et quand, par ailleurs, il suggère que des blancs sur les feuillets on été utilisés pour transcrire des textes afin d'économiser du papier.(p.59)

Dans un chapitre intitulé « Le rôle joué par Rimbaud dans la copie des Illuminations » Eddie Breuil tente de montrer que Rimbaud a été le copiste de Germain Nouveau.

L'histoire du rôle joué par Germain Nouveau dans les manuscrits des Illuminations commence par un mémoire de Jacques Lovichi publié en 1962 à l'université d'Aix-en-Provence. Ce mémoire annonçait une thèse sur Germain Nouveau qui ne fut pas soutenue. Néanmoins, Jacques Lovichi a publié en 1975 dans le numéro 6 de la revue Rimbaud vivant un article intitulé « Germain Nouveau et les Illuminations ». Il suggérait que les deux poèmes où l'écriture de Nouveau est attestée sont de l'auteur des Valentines. Il concluait : « Je suis depuis plus de quinze ans l'involontaire lieu géométrique d'une vertigineuse interrogation. Et je n'ai toujours pas trouvé la réponse » (p.25). Dans le numéro 10 de Rimbaud vivant André Guyaux répondait à Jacques Lovichi. Son article s'intitulait : « L'écrivain et son scribe ». Il y donnait un argument confirmant la paternité du texte Métropolitain : dans la partie copiée par Nouveau celui-ci avait laissé un blanc et c'est Rimbaud lui-même qui, de sa main avait ajouté le mot « Guaranies ». Ceci n'avait jamais été signalé auparavant.

En 1978, Alexandre Amprimoz publiait au Canada une thèse remarquable sur Germain Nouveau. Il avait lu, à Aix-en-Provence où il avait résidé, le mémoire de Jacques Lovichi. Amprimoz reprit, dans une biographie de Nouveau publiée en 1983, l'idée déjà exprimée dans sa thèse que la participation de Nouveau aux Illuminations aurait pu être bien supérieure à celle d'un simple secrétaire.

Jacques Lovichi était resté prudent en reconnaissant qu'après 15 ans de réflexion , il n'avait pas la solution. Eddie Breuil lui, l'a trouvée cinquante ans plus tard et tente de nous expliquer que les Illuminations ont été composées en partie, voire en totalité par Germain Nouveau.


« Peut-on comprendre opéradiques  ? » demande Eddie Breuil à la page 78 de son livre. Il estime qu' il s'agit là d'une erreur manifeste et qu'il faut lire sporadiques. Il mentionne un article d'Underwood qui signale la présence de ce mot chez les Goncourt à propos de Watteau. Le problème est qu'il le cite mal car selon lui le chercheur britannique aurait mentionné la forme opératique plus proche de l’Anglais. Underwood a bien écrit « opéradique ». Observons au passage que c'est Bouillane de Lacoste qui est à l'origine de cette découverte comme le signale Underwood.

Underwood, Revue de littérature comparée, n°35, 1961, p.454


En outre, Eddie Breuil manque un argument qui aurait pu servir sa thèse : le texte sur Watteau des Goncourt a été repris dans La Renaissance littéraire et artistique le 22 mars 1873 dans un article intitulé : Trois notes sur Watteau. Eddie Breuil note que Nouveau s’intéressait à Watteau. Il cite le poème Style Louis XV de Nouveau, évoquant  des peintures exquises de Wateau, qui paraît justement dans le numéro précédent de La Renaissance du 15 mars 1873, mais il en donne une autre référence : celle d'un numéro de 1873 paru dans L'Artiste où le même poème avait paru sous un autre titre. Signalons que Verlaine avait reçu à Londres tous les numéros de la Renaissance et que Rimbaud aussi avait pu lire l'article des Goncourt.2

Extrait de l'article Trois notes sur Wateau comportant le mot "opéradique"


Pour expliquer le fait que Rimbaud éprouve du mal à déchiffrer les manuscrits de Nouveau, Eddie Breuil cite Michael Pakenham qui parle de l'écriture très peu lisible de Nouveau. Mais dans le même temps l'auteur reproduit dans son livre une magnifique illustration d'un manuscrit de Nouveau d'une écriture admirablement lisible et qu'il met en regard du manuscrit de Rimbaud « Villes »3. C'est un vrai miroir pour ceux qui douteraient encore de l'écriture de Nouveau dans les poèmes en prose de Rimbaud.

Selon Eddie Breuil nous aurions aussi l'explication du mot « Baou » du poème Dévotion dont le sens attesté par Mistral pourrait désigner l'herbe d'été en provençal. Précisons que nous n'avons aucun manuscrit qui permet d'assurer la transcription exacte des mots de ce poème. Mais comment comprendre que dans le poème Ouvriers qui serait aussi de Nouveau selon Eddie Breuil4, on trouve le mot « flache », ardennisme typiquement rimbaldien ? Enfin l'auteur utilise des reproductions partielles de manuscrits qui montrent des corrections qui sont simplement des corrections d'auteur et qu'il interprète comme une mauvaise lecture par Rimbaud du texte de Nouveau : «  Nombreuses sont les traces qui semblent montrer que Rimbaud a reproduit des systèmes d'écriture d'une façon hâtive, parfois sans comprendre ce qu'ils tendaient à indiquer. » Rimbaud piètre copiste, ne comprend même pas ce qu'il écrit !

C'est un peu dommage qu'Eddie Breuil ait donné à son ouvrage un tour aussi radical. Il n'était pas absurde de poursuivre les interrogations de Jacques Lovichi. C'est aussi une bonne idée de parler de Germain Nouveau poète incontournable pour ceux qui étudient Verlaine et Rimbaud. Pour ma part, je ne doute pas que Rimbaud soit l'auteur des Illuminations et je reconnais qu'il n'y a rien de nouveau dans cette opinion.

Le lecteur peut se forger sa propre idée en lisant  le livre d'Eddie Breuil édité chez Champion.

L'illustration au début de l'article est reproduite grâce au remarquable reprint de La Renaissance littéraire et artistique réalisé par les éditions Slatkine qui sont propriétaires des éditions Champion.


1 P.29
2 Signalons à cette occasion toute la reconnaissance que nous devons aux éditions Slatkine d'avoir réalisé le reprint de cette revue si importante pour les rimbaldiens.
3 Pages 100-101
4Longue justification pages 141-147.

4 commentaires:

  1. Je trouve les dernières lignes de J. Bienvenu bien modérées et consensuelles après tous les arguments qu'il a fait valoir (avec raison) pour prouver que la thèse de l'auteur ne tient pas debout. A elle seule, d'ailleurs, sa lecture aberrante (et linguistiquement insoutenable) de la lettre de Verlaine à Delahaye suffirait à le disqualifier.
    C'est au point qu'on en vient à se demander si le livre ne serait pas un canular. Et à vrai dire, on le souhaite presque.
    Y. Reboul

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  2. Merci pour votre intervention.Les très sérieuses éditions Champion ne se prêteraient pas à un canular. C'est à exclure d'autant plus que dans mon historique j'ai montré que les idées du livre ne sont pas entièrement nouvelles.
    JB

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  3. Je trouve Eddie Breuil bien plus modéré dans sa notice Germain Nouveau du Dictionnaire Rimbaud (j'ai recouvert la couverture). Je propose enfumage (oh ! La peste carbonique) à la place de canular (camouflage ne convient pas ici).

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  4. Il y a en effet un décalage important entre le livre et la notice.

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