Comment Arthur le voyou est devenu l’idole de Charleville
Alors que le musée Arthur Rimbaud de Charleville-Mézières vient de faire peau neuve après un an et demi de travaux, et d’être inauguré le 27 juin, Bruno Testa nous retrace les grandes étapes de l’histoire du musée dans son livre : « D’Arthur le voyou à l’idole Rimbaud » (PMR éditions).
Que nous apprend l’histoire du musée Rimbaud ? Tout d’abord que l’enfant du pays a eu du mal à s’imposer dans sa ville natale. On connaît le dicton : nul n’est prophète dans son pays. Il faudrait ajouter à cela la relation tumultueuse qu’a entretenu le jeune Arthur avec sa ville. Les quolibets envers Charleville, baptisée Charlestown, sont nombreux dans sa correspondance. Ne qualifie-t-il pas sa ville de « supérieurement idiote entre les petites villes de province » ? On lui doit également des notations assassines dans sa poésie. Qu’on se souvienne de « la place aux mesquines pelouses » dans son poème À la musique.
Arthur le voyou
Les Carolopolitains lui ont bien rendu sa vindicte. Ainsi le rédacteur de la Croix des Ardennes écrit en 1901 une phrase qui prend toute sa saveur aujourd’hui :
« Les clous merveilleux qui se fabriquent ici, les solides boulons, les chaînes robustes, les appareils de chauffages commodes et hygiéniques qui sortent de nos usines feront beaucoup plus pour le renom de Charleville que tous les vers de Rimbaud. »
Pourtant, malgré cela, force est de reconnaître que Rimbaud a très vite été honoré dans sa ville natale, grâce au forcing de poètes parisiens, mais aussi d’amis ardennais. Il suffit de se reporter à l’incroyable histoire du buste Rimbaud, car il y a eu pas moins de trois inaugurations de buste Rimbaud. La première débute peu de temps après la mort d’Arthur, quand amis et admirateurs du poète se mettent en tête de « glorifier par le bronze cet ardennais qui fut l’un des plus grands poètes de France » pour reprendre l’expression de Louis Pierquin dans son appel aux anciens élèves du Collège de Charleville à contribuer au financement du monument (Courrier des Ardennes du 13-14 janvier 1901).
Un comité du monument tout ce qu’il y a de plus officiel est mis en place qui compte outre des célébrités parisiennes (Félix Fénéon, Paul Fort, Francis Jammes, Pierre Louÿs, Gustave Kahn, Alfred Valette, etc.), le patron de Rimbaud à Aden (Alfred Bardey) et enfin d’authentiques Ardennais : Louis Pierquin déjà nommé, Jean Bourguignon, et l’incontournable et fidèle Ernest Delahaye qui occupe le poste stratégique de trésorier.
Le premier buste Rimbaud est inauguré le 21 juillet 1901, square de la Gare. Mais il faut attendre beaucoup plus longtemps pour qu’un musée se mette en place. A cela plusieurs raisons. D’abord, Rimbaud poète ne fait pas l’unanimité. Ce n’est pas le genre de poésie (je parle pour l’essentiel de ses poèmes) qu’on va réciter au tableau noir. A cela il faudrait ajouter que la vie de Rimbaud a été courte, et qu’elle s’est passée en grande partie loin de Charleville. Enfin, on ne possède ni maison, ni objets qui pourraient faire l’objet d’un culte. Si bien qu’il faut attendre véritablement 1954, l’année du centenaire de la naissance du poète, pour que Rimbaud sorte de son purgatoire.
Cette année-là, en octobre, a lieu une grande exposition à la Bibliothèque nationale, grâce à la conservatrice Suzanne Briet, une Ardennaise originaire des environs d’Attigny. Exposition mémorable ! Les musées de France, du Louvre, de Versailles, de l’Homme, les Archives de France, le Musée de Charleville, des bibliothèques de province et de l’étranger, des ambassades dont l’ambassade d’Egypte à Paris, des particuliers ont conjugué leurs efforts pour rassembler plus de 1200 documents !
Les trois étapes du musée
Le musée Rimbaud naît-il pour autant à ce moment là ? Oui et non. Le 17 octobre 1954, profitant de l’inauguration du troisième buste Rimbaud square de la gare, les pouvoirs publics officialisent ce qu’on pourrait appeler le premier musée Rimbaud. Mais en fait de musée, il s’agit d’une simple salle du musée municipal, situé 2 rue du Musée, dans la chapelle de l’ancien couvent du Sacré-Cœur. Cet embryon de musée est pourtant déjà un grand progrès. Il faut savoir en effet que le musée municipal, créé en 1912, abrite depuis trente ans une petite collection d’objets ayant appartenu à Arthur Rimbaud. Une collection modeste, noyée dans les autres collections du musée.
La deuxième étape importante est l’installation au Vieux-Moulin en 1969. Mais il n’occupe que le deuxième étage du moulin, la part belle étant attribuée au musée d’Ardenne spécialisé dans les arts et traditions. Il faut attendre véritablement 1994 pour que le musée Rimbaud devienne réellement un musée autonome, séparé du musée de l’Ardenne qui lui se déplace dans ses nouveaux locaux flambant neufs de la place Ducale.
Le clan des Ardennais
L’histoire du musée Rimbaud, c’est aussi une histoire ardennaise. Le musée aurait-il pu voir le jour sans Jean-Paul Vaillant ? Cet homme qui travaille aux impôts, donc dans les chiffres, est aussi un homme de lettres, auteur de romans, récits et contes consacrés aux Ardennes. Président des écrivains ardennais, fondateur de la Société des Amis de Rimbaud le 29 octobre 1929, il peut s’enorgueillir d’avoir pour présidents d’honneur dans son association Ernest Delahaye et Georges Izambard, soit le condisciple de Rimbaud et son professeur, deux hommes qui font intégralement partie de la légende Rimbaud ! Il correspond avec eux comme il correspond avec d’autres rimbaldiens de l’époque dont l’Ardennais Jean-Marie Carré, auteur en 1926 d’une biographie La vie aventureuse de Jean-Arthur Rimbaud, qui a connu un beau succès et rapproché le poète d’un public plus large.
Il y a également André Lebon, maire de Charleville, qui est à l’origine de la fusion de Charleville et de Mézières. Député de 1967 à 1978, il va jouer un rôle non négligeable dans l’histoire du musée. En tant que député, il est souvent présent à Paris. Il en profite pour prospecter les libraires afin d’enrichir le fonds Rimbaud. En 1969, il lance le premier cahier du Centre culturel Arthur Rimbaud. Quand il prend sa retraite politique, il accumule les notes et les documents qu’il intitule délicieusement « glanes rimbaldiennes ».
Il faut citer Stéphane Taute, conservateur des musées de Charleville et bibliothécaire jusqu’en 1979. C’est grâce à lui que le fonds du collectionneur Henri Matarasso va atterrir à Charleville et donner au musée sa légitimité. Enfin je n’oublie pas Alain Tourneux qui a pris la lourde succession de Stéphane Taute et mené à bien la métamorphose du musée Rimbaud. On lui doit l’autonomie progressive du musée Rimbaud, enfin la transformation actuelle qui fait du musée un peu vieillot du XXe siècle un musée du futur.
Le livre est en vente à la librairie Rimbaud de Charleville-Mézières ou peut se commander en ligne à la même librairie.
Note, par Jacques Bienvenu : Ce livre présente une iconographie remarquable et originale. Nous publierons prochainement la seconde partie de notre dossier sur le nouveau musée Rimbaud.
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